Chapitre 8

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J'ouvre les yeux avec peine. J'ai trop mal dormi cette nuit, c'est dingue. Cette histoire de SMS avec Bill, ça me perturbe beaucoup trop. C'est comme si tout ce que je croyais détruit me revenait en pleine gueule. Et c'est dur à digérer. Visiblement, je n'ai pas dérangé Suzanne, elle est encore profondément endormie à côté de moi. Elle en baverait presque. Je la connais.

Je suis crevé, j'ai encore envie de dormir mais je sais que je ne parviendrai à rien. Impossible. Je suis beaucoup trop perturbé pour dormir plus de cinq minutes encore. Et qu'est-ce que ça va m'apporter, cinq minutes ? Je tends la main vers la table de chevet à la recherche de mon téléphone. Je tapote un moment dans le vide avant de le trouver et de vérifier l'heure. Tout juste huit heures ? J'ai même fait une grasse matinée à ce niveau-là.

Je me lève discrètement, me douche, m'habille et me colle devant la télé avec mon café habituel. Je regarde en vitesse les informations mais je coupe très vite tout ça. C'est déprimant en fait. Je préfère regarder ce que je veux sur mon portable. Et je remarque à l'instant les messages non lus. Putain, dès le matin, ça met dans l'ambiance. Je les parcours en vitesse, réponds à deux ou trois potes et bloque sur le message suivant.

1 SMS : Bill

Merde... Il a répondu... Il a répondu !

J'appuie dessus avec précipitation. Je dois à tout prix savoir ce qu'il me veut, ça m'a presque coupé le sommeil cette nuit. Il m'a répondu presque juste après mon message en plus, il doit attendre que je lui renvoie quelque chose depuis des heures.

Je ne t'ai jamais rayé de mes contacts. Impossible. Ça serait bien qu'on se voie, oui. Peut-être bientôt.

Jamais rayé... Impossible... C'est étrange, ça me fait chaud au cœur. Il ne m'a pas oublié, jamais. Il n'en a même pas eu l'intention. C'est un poids incroyable qui s'échappe de mon estomac. Ça pourrait presque me donner envie de me rendormir, je suis pratiquement serein maintenant. Je suis beaucoup moins angoissé qu'en allant me coucher, je n'ai plus du tout de questions, je... Je n'ai plus qu'un sentiment d'appréhension et d'excitation qui pourrait me faire recracher mon café tant ça passe mal.

Sa dernière phrase me laisse à la fois confiant et douteux. "Peut-être bientôt"... Ça serait bien qu'on se voie rapidement, en effet. Ça serait même vraiment utile. Mais qu'est-ce que je dois réellement comprendre derrière ça ? Est-ce qu'il compte bel et bien venir frapper chez moi avec Tom ? Ou est-ce que ce n'est qu'une supposition balancée comme ça, pour me faire plaisir ? Je doute que ça soit ça. Je connais Bill, je sais qu'il ne me dirait pas ce genre de trucs s'il ne comptait pas le faire. Alors quoi ? Je dois m'attendre à entendre frapper d'un jour à l'autre, comme ça, sans prévenir ? Je dois rester sur le qui-vive à partir d'aujourd'hui jusqu'à ce qu'ils daignent se présenter à moi ? Si c'est ça, mon cœur ne va jamais le supporter, je vais faire un malaise avant. Tout ça me plonge dans un stress monstrueux en un rien de temps, je suis à deux doigts de faire de l'hyperventilation sur mon canapé.

Je glisse mon portable dans ma poche et remonte dans ma chambre me changer. J'ai besoin de courir, de me défouler un peu. Comme la veille, je retourne dans le petit coin perdu et laisse ma voiture en bordure de route avant de m'aventurer sur le chemin en terre couvert de feuilles mortes. Je n'ai pas de musique cette fois. J'essaie de me concentrer sur ma respiration, sur la nature, sur ces quatre chevaux toujours posés dans leur pré. Mais rien n'y fait. Je reviens toujours aux jumeaux à un moment donné. Je me repasse tout dans la tête, de notre rencontre à notre dispute. Puis à leur départ. C'était si étrange et douloureux. J'ai eu l'impression d'être un gosse qu'on abandonnait lâchement, sans même lui adresser un dernier mot ou un dernier regard.

Je me rappelle, c'était en octobre. Le 21 octobre 2010. En pleine soirée, ils se sont barrés à Los Angeles sans un mot, sans un coup de fil, pas même un SMS. Rien. Je ne l'ai appris que le 22 qu'ils s'étaient fait la malle, après le message d'un ami. Il avait vu les infos qui rapportaient ce départ précipité, images à l'appui. Mon pote me demandait ce que le groupe allait devenir... Et je n'avais rien à lui répondre. Parce que je n'en savais rien. Tom et Bill venaient de s'enfuir sans me tenir au courant. Pas que pour des vacances, pour de bon cette fois-ci, avec des bagages de partout. J'ai appelé Gustav à la recherche de réponses. Est-ce qu'à un moment donné, ils avaient réellement évoqué l'idée de changer de pays et je ne l'avais pas entendu ? Ou compris ? Mais non. Lui non plus n'en savait rien et était sur le cul, comme moi. Ils avaient pris cette décision comme ça, sur un coup de tête, et s'étaient envolés pour les États-Unis sans nous tenir au courant, comme si nos destins n'étaient pas liés. Et quand j'ai voulu avoir une réponse d'eux, que j'ai essayé les SMS puis les appels, je n'ai jamais eu un seul retour. Gustav non plus. Tout sonnait dans le vide. Ils nous avaient balayés de leur vie sans remord.

Je m'arrête à côté de la réserve d'eau, des larmes aux fond des yeux. Je pourrais prétendre que c'est à cause de l'air si froid, de cette humidité détestable qui s'infiltre partout, mais non. C'est moi et mes souvenirs, c'est tout. Mes mains prennent appui sur mes cuisses, je respire bruyamment. Je ne devrais pas repenser à tout ça mais c'est impossible. Ça m'a tellement choqué de les voir nous tourner le dos comme ça, si facilement, comme si on n'avait jamais rien connu ensemble, qu'on n'était que de vagues connaissances... Quels cons ! Ils n'ont pas idée du mal que ça m'a fait, je venais de perdre une partie de ma famille sans aucune raison valable à mes yeux et en plus, elle me tournait le dos comme si j'étais le seul fautif. Je n'y comprenais plus rien.

Je sors mon portable de ma poche et ouvre la conversation avec Bill. Il est même pas neuf heures, ça veut dire qu'il n'est pas encore minuit en Californie, ça. Je connais Bill et Tom, ils ne doivent pas dormir à cette heure-ci, sauf s'ils sont malades. J'ai déjà vu des clichés d'eux pris par des paparazzis, ils sont visiblement friands de soirées. J'imagine que les fêtes à L.A. n'ont pas la même saveur qu'à Berlin ou Hambourg.

En attendant, je dois répondre à sa supposée prochaine visite avec Tom. Autant ne pas lui donner de date précise, je sais très bien qu'ils ne viendront pas sur commande. Ils feront ça quand ils estimeront que c'est le moment pour eux, pas avant. Mes doigts se mettent à taper tout seul sur l'écran.

Ma porte est ouverte n'importe quand. Votre moment sera le mien et le café sera chaud pour vous deux.

Je valide en appuyant sur la touche d'envoi. Je repars de suite en direction de la voiture. Maintenant, tout ne tient plus qu'à eux pour m'expliquer tout ce qui les a poussés à s'enfuir sans un regard. Désormais j'ai une chance de comprendre. Dans les prochains jours, ou prochaines semaines, on va se revoir. On va se parler. On va tout remettre à plat et au clair. Et ensuite... Ensuite, on verra bien ce qu'on attend et espère chacun de notre côté. Pour le moment, tout ce que je veux, ce sont des explications. Le reste, on verra plus tard.


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When life was easyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant