Chapitre 19

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Je pose le casque sur mes oreilles. À travers la vitre de la cabine, je lève mon pouce pour signaler à Tom que tout est bon. Il me répond du même geste. Je lance un regard à Georg appuyé contre le mur, juste à côté, puis à Gustav qui est sur le sofa, les yeux rivés sur moi. Je souris mais je me reprends bien vite. Il faut que je sois dans la chanson et elle n'est pas faite pour sourire, loin de là. J'écoute la musique qui vient dans le casque, je me concentre, je ferme les yeux et j'entame la première phrase. Je fais mon maximum, je donne tout, je joue au mieux les émotions au point de faire légèrement trembler ma voix. Je chante tout, les yeux clos, ça m'aide à me concentrer et à me faire croire que je suis en concert, là où je n'ai pas le droit à l'erreur. Ça me permet d'être parfait, de ne pas rater une syllabe, un mot, une intonation. Me croire sur scène, ça me fait pousser des ailes... Ça n'était pas arrivé depuis longtemps.

Je termine mon tour de chant. J'ouvre les yeux, je regarde Tom qui coupe l'enregistrement et me fait signe de son pouce que tout est bon. Je dépose le casque et sors de la cabine pour rejoindre les autres derrière la table de mixage. Georg me lance un simple coup d'œil que je déchiffre immédiatement. L'habitude. Je comprends qu'à travers ça, il me félicite pour avoir presque fait une prise parfaite du premier coup. Sur le canapé, Gustav me fait un clin d'œil et tord le coin de ses lèvres. C'est la même chose, ça veut dire "bravo, mec" en une seconde. Je réponds d'un sourire et m'appuie contre la table de mixage, les bras croisés, en attendant de voir ce que Tom en dit. Il pianote sur les touches, clique ici ou là sur l'ordinateur, le tout avec sa mine concentrée ce qui fait que ses lèvres disparaissent et le bout de sa langue ressort. Ça m'amuse de le voir aussi passionné par ce qu'il fait. Il aime vraiment ça, tout bidouiller et trafiquer en production pour créer quelque chose d'unique.

« Faudra refaire une prise pour la fin, c'est pas assez, me dit-il sans même me regarder.

- Pas assez quoi ? Demande Gustav avant moi. J'ai trouvé ça hyper profond, moi.

- Pareil, fait Georg. Tu veux quand même pas qu'il se mette à pleurer en chantant ?

- Il faudrait, si. Enfin, presque.

- T'as pas peur que ça fasse trop ? »

Je les observe en restant de côté, amusé par leur discussion à mon sujet sans qu'ils m'intègrent dedans. Je trouve que c'est la meilleure preuve possible de notre complicité retrouvée. Chacun donne son avis, ça ne part pas en dispute, et ça, c'est plutôt incroyable quand on sait ce qu'on était il y a encore deux semaines. Voir Georg et Gustav être aussi impliqués sur ce qu'on a commencé à produire avec Tom, c'est tellement rassurant et apaisant. Évidemment, "Run, run, run" est une chanson un peu particulière de par son style, il reste encore un doute pour quand on leur fera écouter les autres chansons. On ferait peut-être mieux de s'en débarrasser d'ailleurs, qu'on ne laisse pas traîner ça et qu'ils se fassent des idées pour qu'au final ils soient déçus. Je ne veux pas qu'ils le soient. Ça serait terrible.

« On reprendra ça plus tard, les coupé-je dans leur conversation. Fais-leur écouter ce qu'on a déjà pour "Girl got a gun", ça leur donnera une idée de la direction qu'on prend.

- Tu veux pas plutôt qu'on leur fasse écouter "The heart get no sleep" ?

- Vous pouvez balancer les deux, lance Gustav en s'affalant un peu plus dans le canapé. On est là pour ça après tout.

- Ouais, c'est vrai. »

Tom enregistre son travail puis ouvre les autres fichiers. Rien n'est encore pleinement validé, on a seulement mis des idées en forme. Je suis à la fois terrifié et curieux de découvrir ce qu'ils vont en penser. Mes doigts se crispent sur mes bras, ma tête se baisse. Je ne veux pas voir leur réaction. Je la crains. J'ai peur qu'ils soient déçus, écœurés, qu'ils rejettent tout... Si c'est le cas, est-ce qu'on pourra quand même rester amis ? Je me vois mal essayer de faire de la musique sans eux et à côté de ça, continuer à les voir et à plaisanter avec eux comme si rien n'avait changé. Ça serait impossible. C'est soit on fait tout ensemble, soit on ne fait plus rien. Et maintenant qu'on s'est retrouvés, je n'ai pas envie qu'on se sépare sous prétexte que nos goûts musicaux divergent. Ça serait terrible.

When life was easyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant