Chapitre 15

73 5 1
                                    

Je lance un rapide regard à Tom à côté de moi. Il a raison. On avait besoin de tout quitter. Tout détruire pour tout rebâtir. Et je veux qu'aujourd'hui, on rebâtisse notre amitié. Parce qu'elle n'aurait pas dû être mise à l'écart et ignorée comme ça. Si ça avait été une vraie bâtisse, ça aurait été comme si on l'avait abandonnée aux caprices du temps pour revenir essayer de la restaurer pour lui rendre son vaste. Mais je ne sais pas si ça va être possible. Ça a l'air mal engagé.

Je relève la tête à mon tour. Je plante mon regard dans celui de Georg. Il a les mâchoires crispées, ce n'est pas bon signe. Puis il crispe les poings et les enfonce dans ses poches. C'est encore moins bon signe. Ça sent mauvais pour nous. Je redoute de l'entendre nous dire de déguerpir et de ne plus jamais revenir le voir. Je m'en voudrais à vie si ça se produisait. Parce que notre amitié me tient à cœur et elle me manque. Nos délires dans le tour bus, dans les loges, dans le studio... Nos soirées films... Nos conversations sérieuses sur le budget... Nos conseils sur nos vies privées...

« Georg, appelé-je d'une faible voix. Quoi que tu choisisses maintenant, j't'en voudrai pas. »

Je le pense. S'il veut nous retrouver dans sa vie, j'en serai le plus heureux. Mais s'il refuse... Eh bien je foutrais le camp sans me retourner. J'accepterai. On a agi comme des cons, c'est sûr, on n'a que ce qu'on mérite. On aurait sans doute dû couper les ponts uniquement avec notre métier, pas avec nos proches. On n'aurait pas dû s'isoler autant, se renfermer à ce point sur nous.

« Vous avez vraiment recommencé à écrire ? »

Je suis étonné par cette question. Je jette un œil à Tom qui semble aussi surpris. Est-ce qu'il s'agit d'une question piège ? Du genre si on dit oui, il va s'énerver contre nous et si on dit non, il va nous demander pourquoi on a menti ? Puis qu'est-ce qu'il en attend exactement ?

« Un peu, oui, dis-je enfin avec beaucoup de doutes. Mais...

- Quoi ?

- Ça n'a rien à voir avec ce qu'on a pu faire auparavant.

- Ce qui veut dire ?

- Ben... C'est très... Moderne.

- Moderne ? Ça ne veut rien dire.

- Électronique, répond Tom avant moi. C'est ça qu'il veut dire.

- Hum. Beaucoup de synthé... De batterie électronique... »

Je n'en dis pas plus. Je devine clairement son mécontentement. Ses yeux se plissent, ses mâchoires se contractent à nouveau... C'est mort. Jamais il n'acceptera que Tokio Hotel joue une telle musique. Il a encore envie de jouer nos ancienne chansons, comme si on était contraints de se cantonner à notre passé, à ce qu'on a toujours fait, qu'on n'avait pas le droit de s'essayer à autre chose. Ça me désespère. Je croyais qu'on avait encore les mêmes idées, la même vision, comme c'était le cas lorsqu'on s'est rencontrés et qu'on a joué ensemble.

Je regarde Tom. Apparemment, cela se jouera rien qu'avec lui et moi. On peut dire adieu à Tokio Hotel et essayer d'écrire une nouvelle page pour une toute autre histoire. On ne peut pas rien faire d'autre pour notre ancien groupe. Il est mort le jour où on est rentrés chez nous, après la Russie. Et enterré désormais.

« Vous avez des extraits avec vous ou pas ? »

J'ouvre de grands yeux, tout comme Tom. On se dévisage une seconde avant de se tourner vers Georg. Il a toujours cette attitude froide, peu engageante. Ça veut dire quoi cette question alors ? Qu'il veut voir jusqu'où on a osé travailler sans lui et Gustav ?

« Non, pas ici. Tout est à L.A. et... »

Il plisse un peu plus les yeux. Comme s'il voulait savoir si je mens ou pas.

« On n'a pas grand-chose, ajouté-je mal à l'aise. On a juste recommencé à y mettre les pieds.

- Assez pour revoir toute la direction artistique visiblement.

- On n'a plus les mêmes envies, c'est tout, intervient Tom. On n'est plus ados. »

Je confirme vaguement, avec un simple hochement de tête. Je tords mes doigts dans mon dos, à l'abri de son regard. Je sais qu'il sait que je suis mal à l'aise, tout comme Tom, mais je ne veux pas lui en donner la preuve. On est bien assez en position de faiblesse comme ça, pas besoin d'en rajouter. Ça me rend déjà presque fou de voir que ça se passe comme ça, pas du tout comme je le croyais.

« On fait quoi maintenant ? Demandé-je impatient d'en finir avec tout ça. On disparaît de ta vie définitivement ? On n'est plus rien ?

- D'après toi ? » Me rétorque-t-il sobrement.

Je sens presque ma mâchoire inférieure me lâcher. Je ne m'attendais pas à autant de froideur à notre égard, surtout après tout ce qu'on a connu. J'imagine que ce n'est que ce qu'on mérite, même si c'est affreusement douloureux.

Je commence à faire demi-tour, Tom aussi. Il ne nous retient pas. Je sens mes larmes revenir à la charge, ma vision se trouble. Je me contiens au maximum alors que j'avance vers la porte d'entrée. Ma lèvre inférieure tremble. Je sens mon cœur devenir minuscule. J'étais persuadé que nos années d'amitié surpasseraient ces deux années éloignées... J'aurais dû savoir que Georg ne l'accepterait jamais. Il est bien trop fidèle pour accepter de s'être fait ignorer de la sorte. On aurait dû réfléchir avant d'agir, ça nous apprendra...

Je tends la main vers la poignée. Je n'en reviens pas. C'est la dernière fois qu'on se voit et on ne s'est même pas dit adieu correctement. Je vais regretter ça toute ma vie. S'il y a une seule connerie qu'on a faite dans notre existence, c'est celle-là.

« Je vous déteste. »

Je reste tétanisé, la main sur la poignée. Sa voix vient de me transpercer. Ça... On se l'est dit tellement de fois pour déconner que je n'arrive pas à croire qu'aujourd'hui, c'est sincère. C'est insupportable tant ça fait mal. Je renifle pour ne pas pleurer mais c'est dur. J'ai le cœur en compote. Je me sens à l'étroit dans mon corps, j'ai envie de hurler à quel point ces mots me font mal. Mais je me tais. Je n'arrive plus à parler tant je me retiens de pleurer. C'est horrible ce qui est en train de se passer. C'est comme si des années entières de ma vie tombaient en ruines... Et par ma faute en plus ! Je ne peux m'en prendre qu'à moi.

J'appuie sur la poignée de tout mon poids. Il faut au moins ça pour la faire céder. Je me reçois le vent frais en plein visage... Ça me confirme que tout ce qui se passe est bien réel, que je ne fantasme rien. C'est la réalité ce que je vis, ça fait affreusement mal.

Je repense tout à coup à ce que j'avais écrit l'autre jour. Easy. C'était bien plus simple avant, c'est sûr. Je sanglote comme un gosse devant la porte. Je n'arrive plus à avancer. Je ne veux pas sortir d'ici en sachant que je vais perdre un de mes meilleurs amis, pour en plus me rendre chez un autre qui risque aussi de me tourner le dos. Non. Je ne peux pas.

Je me retourne d'un coup. Je regarde Georg planté dans son salon, droit, pâle, le regard étrangement sombre pour ses yeux clairs. Je le devine malgré mes larmes. J'ai envie de lui dire tout ce que je pense, tout ce que je ressens, j'ai envie de lui crier même... Mais ça sort pas ! Je reste comme un con, la bouche entrouverte, à essayer de ne pas pleurer tout ce que je sais.


Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
When life was easyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant