Chapitre 3

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Je pousse un interminable soupir tout en refermant lentement l'écran de mon ordinateur portable. Quel con, mais pourquoi j'ai dit ça ? J'ai réussi à vexer Gustav, bien joué ! Le genre de truc impossible à faire, je l'ai fait. Magnifique, je peux être fier de moi. Je pousse mon ordinateur à côté de moi, sur le lit, et m'effondre sur les draps.

Pourquoi c'est si compliqué entre nous ? Avant, tout roulait parfaitement, on se comprenait presque sans se parler au bout d'un moment. C'était genre instinctif. Et depuis deux ans, plus rien... Comme si on n'avait jamais été proches. Je suis con d'avoir menti à Gustav, évidemment que ça m'emmerde de plus avoir de contact avec Georg. C'était un de mes meilleurs amis et du jour au lendemain, paf ! Plus de nouvelles. Comme si on était des étrangers. Ça me blesse, c'est sûr. Je croyais qu'on pourrait toujours compter les uns sur les autres, qu'on était au-dessus des querelles idiotes d'ego... Je me suis planté bien comme il faut ! Finalement, on ne valait pas mieux que les autres, on était exactement les mêmes. J'aurais dû choisir d'autres musiciens à l'époque, on n'en serait pas là.

Quoi que... Je dis ça mais au fond, je n'en sais rien. Peut-être que ça n'aurait pas marché avec d'autres gars. À l'époque, je n'en connaissais pas beaucoup qui était capables de nous supporter, moi et Tom. Georg et Gustav étaient d'ailleurs les seuls. Je ne sais pas pourquoi eux, ils ont vu autre chose par rapport à tous les autres. Il y a des trucs comme ça qui ne s'expliquent pas. Entre nous, ça marchait, ça ne s'explique pas. C'est quand même con qu'aujourd'hui, ça ne soit plus le cas. J'ai l'impression d'avoir perdu deux compagnons de guerre. Au moins, avec eux, il n'y avait pas de jugement, je pouvais être qui je voulais, Tom aussi, et c'était reposant. Puis quand Gustav a commencé à avoir une certaine musculature avec ses séances de batterie, ça intimidait les gars qui voulaient me faire chier, ils me laissaient tranquille.

Je ferme les yeux un moment. J'essaie de me vider la tête... Mais ça ne marche pas. Je repense à ces moments qu'on a partagés tous les quatre, à ces délires dans le tour bus, à ces prises de tête avant de monter sur scène, à ces réconciliations dans la loge... C'étaient de supers moments. Parfois pénibles, parfois drôles, parfois juste réconfortants, mais au moins, on était ensemble. On faisait face ensemble. On restait soudés. Je suis plutôt déçu de voir que maintenant, on est chacun d'un côté du monde sans se parler.

Enfin si, Gustav a accepté de nous reparler mais Georg... Quelle tête de mule ! Je ne pensais pas qu'il le prendrait si mal, qu'il nous tournerait à ce point le dos et qu'il couperait les ponts si brutalement et définitivement. Je sens mon portable dans ma poche, j'ai l'impression qu'il est en train de me brûler. Est-ce que je pourrais essayer de le joindre après presque un an sans aucune nouvelle ? Il ne va pas me répondre, je le connais. Sinon il aurait déjà essayé de me contacter auparavant. Mais j'ai beau essayer de l'ignorer, mon portable pèse de plus en plus dans ma poche.

Je l'attrape, le déverrouille et glisse dans ma liste de contacts. Je m'arrête à la lettre G. Georg. Juste là. Il suffirait que j'appuie mon doigt sur son nom et je lancerais l'appel. Sauf que mon pouce a l'air de peser dix tonnes. Si jamais j'essaie, qu'est-ce que je vais faire ? S'il répond, je dis quoi ? "Salut, quoi de neuf depuis le temps ?"... C'est idiot. Et s'il ne répond pas ? Je dis quoi à son répondeur, moi ? Aucune idée. Je n'ai jamais aimé parler sur un répondeur de toute façon.

Je laisse tomber mon portable sur mon ventre. Je crois que ce n'est pas la peine, il va me raccrocher au nez dans le meilleur des cas et m'ignorer superbement dans le pire. Ou l'inverse. Peu importe, il va de toute façon me rejeter comme si on n'avait jamais rien partagé. Tout était plus simple quand on était jeunes, on ne se posait pas autant de questions, tout roulait sans problème. On pouvait passer des journées entières ensemble, des semaines même lors des tournées, partager les espaces les plus exigus, se voir dans tous les états, du pyjama pourri aux vomissements dans les toilettes, jamais ça nous a séparé. Jamais on a été choqués, écœurés, moins proches...

When life was easyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant