Chapitre 13

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Je traîne des pieds, au grand damne de Suzanne qui n'en peut plus de me voir dans cet état. Ça fait une semaine que je me traîne plus qu'autre chose, je n'ai plus envie de rien faire. Je passe mon temps à aller d'un bout à l'autre de la maison sans même savoir ce que je cherche. Et je crois que Gustav est un peu dans le même état que moi. Ça n'a duré que quelques secondes ce tête-à-tête avec Bill sur Skype mais ça a suffi à nous déprimer tous les deux. Je n'arrête pas de l'imaginer en train de chanter, avec Tom derrière une table de mixage, en train de faire leurs arrangements à eux... Ça me rend malade. Ça recommence, comme en 2008 et 2009, ça me fait autant de peine dans la poitrine.

« Georg, je t'en supplie, arrête de tourner en rond comme ça, c'est stressant ! »

Je me tourne vers Suzanne assise dans le canapé, ses documents d'histoire entre les mains.

« Va courir, va faire les boutiques, j'en sais rien mais déguerpis, m'ordonne-t-elle. S'il te plaît, tu me déconcentres. J'ai ma thèse à finir. »

Je m'excuse en levant simplement une main et me dirige vers la cuisine pour faire couler un café. Je ne suis pas sûr que ça soit la meilleure des solutions mais peut-être qu'avec ça, je vais enfin un peu m'énerver et faire quelque chose de mon corps. Je glisse la capsule dans la machine mais avant d'ouvrir, une sonnerie retentit. J'entends Suzanne aller ouvrir. Je ferme le clapet et regarde le café couler dans ma tasse blanche, les mains dans les poches, les épaules voûtées.

« Georg ? C'est pour toi. »

Je tourne vaguement la tête, je ne l'aperçois pas d'ici. Je récupère ma tasse et la rejoins en traînant des pieds. Je ne vois pas qui pourrait venir ici pour moi à part ma mère. Mais elle m'aurait prévenu, elle le fait à chaque fois.

J'arrive dans le salon, le regard tourné vers le hall d'entrée où se tient Suzanne. Elle est de côté pour me laisser voir qui est là et à son visage, je devine qu'elle n'est pas à l'aise. Elle est même clairement troublée. Et je comprends pourquoi.

Ces deux têtes-là, je n'aurais jamais cru les revoir un jour. En tout cas, pas devant ma porte. Eux non plus, ils n'ont pas l'air très à l'aise. À la façon qu'ils ont de ne pas tenir en place, de bouger d'un pied à l'autre, de se tordre les lèvres, tout pue le malaise. Je croyais que le jour où je les reverrais, j'en tomberais en arrière, je m'énerverais contre eux, j'en viendrais à vouloir les frapper... Mais je ne ressens rien de tout ça. Je sens juste un profond malaise, un étau dans le cœur, et presque un dégoût. Je les dévisage, sans doute autant qu'eux. On ne ressemble plus à ce qu'on était. Je ne savais pas qu'ils avaient tant changé. Même la semaine dernière, sur Skype, je n'avais pas fait attention à la tête de Bill tant tout avait été rapide.

Il est blond maintenant. Et barbu. Comme Tom. Une petite barbe de types pas rasés, qui ont la flemme le matin de sortir le rasoir. Puis les fringues... On dirait qu'ils savent même pas quoi porter, qu'ils sont un peu tombés dans les premiers vêtements trouvés au saut du lit. Je les ai connus plus chics et élégants. Là, même moi, je suis bien mieux qu'eux avec mon jean et mon fin polo. Mais je devine à leurs regards qu'ils sont étonnés par ma coupe courte. Ils croyaient quoi ? Que je ne changerais jamais ?

Ils ne parlent pas, ne font même pas un geste de main ou de tête qui me donnerait une indication sur leurs intentions. Je regarde Suzanne qui a l'air encore plus gênée que moi. D'un simple regard, je lui indique de s'éloigner, ce qu'elle fait sans poser la moindre question. Je fixe les jumeaux sur le perron tandis qu'elle s'éloigne et s'enferme dans le bureau. Elle a compris qu'elle devait nous laisser tranquilles. Sauf que je ne compte pas parler. Je crois que c'est terminé tout ça, c'est trop tard.

When life was easyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant