chapitre 4 : liberté et amour

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Je ne peux m'empêcher de revoir cette image. Il m'obsède. Prend place dans chacune de mes pensées. Cette étreinte que m'a donné Lucius était tellement sincère et elle a surtout duré si longtemps, que je ne sais plus quoi dire. Heureusement que personne ne nous a vu. Heureusement que le comte ne nous a pas vu. Je n'ose même pas imaginer ce qu'il m'aurait fait pour me punir. Me torturer ou me tuer ?

Je suis si perturbé que j'en fait glisser le couteau sur mes doigts en préparant le repas. Comme si mes mains avaient besoin de ça avec les récentes coupures de tesson. Il me faut encore soigner une blessure avec mes connaissances quasi nulles dans le domaine, ce qui me laissera sans aucun doute de petites cicatrices. Quoique mes connaissances sont plus grandes depuis que mon jeune maître m'a appris à renouveler mon bandage. Et voilà, je pense de nouveau à lui. Je dois retirer toutes ces idées saugrenues de mon esprit, ça ne va m'attirer que des ennuis. Je dois faire le vide dans ma tête.

Une semaine à passé sans que Lucius ne me reparle de notre après-midi de géographie. Je ne sais pas ce que je dois en penser : cela signifie-t-il qu'il a juste fait ça par pitié ou alors était-ce un réflexe ?

- Ho ! Mon garçon, tu les prends ou pas ces pommes ?

Je ressors de mes pensées et me retrouve nez à nez avec une vendeuse de fruits sur le marché.

- Euh... Oui désolé, je vous en prend une douzaine.
- Ça n'a pas l'air d'aller fort mon garçon ! Tu as fait quoi pour avoir de telles écorchures ? Me demande la vendeuse en me servant les fruits.
- C'est...c'est rien ne vous inquiétez pas...je...

Je remonte la manche de ma grande chemise blanche, la seule tenue d'homme que je suis autorisé à porter les jours de marché, pour dévoiler à mon interlocutrice une marque au fer rouge, un cercle qui entoure une colombe, symbole de ma condition, et ce afin qu'elle arrête de s'inquiéter pour moi. Étrangement, ou non, dès que les gens apprennent que je suis un esclave ils arrêtent de me parler et me prennent de haut. La vendeuse me lance presque le panier au visage sans ajouter un mot et je repars vers le manoir. Même si je suis habitué, ça ne fait pas vraiment plaisir. Je passe en général par un petit passage dans des venelles qui me mène directement devant la porte de l'arrière-cuisine, ce qui m'évite de voir le comte dès mon retour. Mais aujourd'hui il y a comme un bruit étrange, j'entends des pas autour de moi. J'accélère pour échapper le plus rapidement possible a ces ruelles dangereuses quand d'un coup je me cogne dans une jeune fille apeurée.

- Ouch... Je suis désolée ! Ne me frappez pas ! Me dit-elle d'un coup.
- J-je ne vais rien vous faire ne vous en faites pas.

La jeune fille blonde me regarde dans les yeux, inquiète. Une chose me frappe immédiatement : elle ressemble à Évangéline, la femme de mon enfance, elle as les mêmes long cheveux blonds et surtout ces yeux rouges si peu communs. Cependant elle a l'air beaucoup plus jeune et plus maigre. Elle aussi porte de petites cicatrices sur les bras, est elle une esclave ?

- Qui es-tu ?
- Je...suis Marielle. J'appartiens au duc de Khoma. Me répond-t-elle en ramassant un petit baluchon. Ou plutôt j'appartenais...
- Il t'as libérée ?
- Non... Je me suis enfuie grâce à un valet de pied qui m'as ouvert une porte. Il m'as dit de fuir vers le port le plus vite possible.

Une esclave en fuite. C'est la première fois que je vois ça. Je n'avais jamais osé penser sérieusement à m'enfuir, j'ai bien trop peur des conséquences si j'échoue. Et pourtant j'ai là en face de moi la preuve que c'est possible. D'un autre côté elle a l'air blessée, affamée et désespérée. Elle fixe les pommes d'un air presque bestial qu'elle peine à dissimuler.

- Tu en veux une ?
- Tu ne vas pas avoir de problème ? Me demande-t-elle avec des yeux affamés.
- Non vas y, mon maître ne viens jamais en cuisine et ne se pose jamais de questions sur ce que j'achète, il ne verra même pas qu'il manque une pomme.
- Toi aussi tu es un esclave ?

Je ne fais qu'acquiescer en me rappelant que je dois me dépêcher de rentrer. Je lui donne sa pomme et la regarde se goinfrer en lâchant de grosse larmes. Après des échanges de politesse je repars vers le manoir et elle, se dirige vers le port. Est ce vraiment ça la liberté ? Vivre dans la fuite et la famine. Je ne suis peut-être pas si malheureux avec le comte, si l'on omet bien sur ses penchants pour le viol d'adolescents avec coups et blessures. Cependant, en y réfléchissant bien, je pense que s'il n'y avait pas eu Lucius, je me serais enfui depuis longtemps comme cette petite Marielle. Oh, je pense encore à lui. Mais c'est quoi mon problème ? Il me montre un signe d'affection et je ne pense plus qu'à lui. Suis-je définitivement touché par l'amour ?

Allongé dans mon lit miteux, je regarde le plafond de ma chambre faiblement éclairé d'une chandelle à la flamme chancelante. Mon regard est vide mais intérieurement c'est un grand débat philosophique qui se déroule. Il me faut trouver un moyen de renoncer à cet amour impossible. Une partie de moi veut vouer sa vie entière à servir et aimer Lucius et l'autre partie veut être tout simplement libre. Je suis perdu et je n'ai personne à qui en parler... À pars au dessin de mon père, découvert dans la bibliothèque, que j'ai gardé avec moi. Mais franchement je me vois mal parler à un bout de papier. Pourtant c'est ce que je fais. J'explique tout au dessin comme s'il s'agissait vraiment de mon père.

Des larmes coulent le long de mon visage. Je me rend compte une nouvelle fois que l'espoir de revoir un jour mon père vivant à été réduit a néant. Condamné à mort pour trahison... Mais qu'avait-il bien pu faire réellement ? l'Empire le montre comme un traître mais le peuple le considère comme un héros. Il y en a forcément un des deux qui ment. Les larmes s'intensifient. Je voudrais être libre pour partir en quête d'informations, j'aimerais revoir ma ferme, j'aimerais retrouver des nouvelles d'Évangéline, si elle est encore vivante, et surtout je voudrais voir la tombe de mon père si elle existe. Mais comment faire pour fuir ?

Je dois bien me préparer. Afin d'éviter de mourir de faim, je dois prendre des provisions. Pour ne pas mourir de froid, je dois chaparder une petite couverture. Et pour ne pas fuir inutilement je dois prévoir mon trajet et cacher ma marque. Tout cela m'a l'air correct pour ne pas échouer. Cependant je ne peux pas laisser le jeune maître. Si je pars, rien ne garantit que son père ne passera ses nerfs sur lui. Je dois l'intégrer dans mon plan... Et je lui en parlerai. Oui, je suis sur que ça lui plaira. Mais n'est ce pas encore l'amour qui parle a ma place. Évidemment qu'il ne voudra pas. Il a tout ce qu'il veut ici, il ne connaîtra jamais la misère. Mais moi je veux l'entraîner dedans ? Je ne comprend plus mes pensées.

𝕭𝖔𝖞 𝖒𝖆𝖎𝖉 (en Réecriture) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant