Troisième jour de glace à la pêche

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C'était une belle nuit d'été. De celles qu'on ne pense pas oublier, tant la chaleur est épaisse, tant elle pèse, tant les voix sont légères. Il y avait comme une odeur sucrée, de croustillons et de sable envolé. Et la lumière des lampadaires était claire sur les visages ouverts. C'était l'été, c'était la nuit, les vacances et il y avait des joueurs de jazz sur la promenade.

My funny valentine

Sweet comic valentine

You make me smile

With my heart

Je me suis enfui de mon petit appartement coincé entre les rues en pente, j'ai couru vers le port. L'air était brûlant, mon souffle étouffé contre ma gorge. Il y avait ce gars qui me poursuivait en riant, en trébuchant à moitié. On courrait sur les pavés, on tombait, on se relevait. Il n'y avait pas grand chose d'important, dans cette nuit d'été. Pas vraiment de souvenirs. Pas vraiment de cris, ou de mots tranchants. Rien qu'un été essoufflé contre les plages chantantes, un trompettiste amusé.

J'ai couru à perdre haleine, bousculant les passants, faisant râler les touristes. Et je riais plus encore. Mon poursuivant - Hoseok, je crois - ne cessait de crier des menaces de mort sur moi, ma famille et les dix générations suivantes. Et rien n'avait d'importance. C'était délicieux. On goûtait la vie comme un fruit mûr, le jus sucré coulant sur nos joues rougies.

Mes chaussettes sur les pavés étaient trempées, serrée dans mon poing une serviette jaune claquait au vent. A ma suite, Hoseok ne portait qu'un short de bain. Ses pieds nus claquaient sur les pierres dans mon dos. Et on riait tellement, on s'en étouffait. C'était stupide, si stupide, mais c'était doux. Les exclamations des passants, le souffle coupé de ce vieux couple que ma course vient de séparer. Ils me lancent des signes obscènes dépourvus de toute la sagesse de leur âge avant d'être à nouveau soufflés par mon poursuivant. La nuit était si belle, et la mer brillait comme en plein jour.

Your looks are laughable

Unphotographable

But you're my favorite

Work of art

La douce mélodie du jazz band s'estompait doucement dans le vent. J'arrivais près du port, là où les touristes assis sur des bancs se plaignent de l'ombre des pins. Tout le monde veut voir les mats éclatants sous la Lune, les coques fraîchement peintes. Tout le monde veut voir les vaisseaux qui partiront bientôt à l'assaut du monde, seuls, puissants et vulnérables sous la puissance des vagues.

Je descendis sur les embarcadères, pas trop larges, faisant craquer les planches de bois. La serviette jaune était mon étendard, mon pavillon. Adieu, mon ami ! Je prends le large ! Mon rire fit chavirer une barque près des rochers. Je manquai tant de fois de tomber à l'eau, de me fendre le crâne sur les quilles solides. Hoseok ne m'avait pas suivi, il me regardait depuis le haut des marches en riant, avec ce regard flamboyant de victoire. Je lui tirai la langue en sautant dans le plus grand des vaisseaux.

Il vacilla à peine, il ne sentit pas ma présence. Le bateau tournait le dos au port, je courus à la proue. Mais sur les barreaux blancs, minces, fins, il y avait un garçon perché à l'assaut de l'océan.

Is your figure less that greek ?

Is your mouth a little weak ?

When you open it to speak

Are you smart ?

En équilibre sur la proue, les genoux enchevêtrés dans les barreaux, l'apparition tenait d'une main un carnet sombre, et de l'autre un pinceau d'aquarelle. Je m'approchai doucement, abandonnant mon étendard criard sur le pont. Il avait deux crayons coincés entre les dents, et une boîte en équilibre sur un pied. J'ai failli crier en le voyant se pencher pour l'atteindre.

Rien ne semblait pouvoir l'étourdir, le détourner de sa tâche. Alors je m'approchai et regardai par dessus son épaule.

Je ralentis mon souffle pour admirer les nuances, les formes

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Je ralentis mon souffle pour admirer les nuances, les formes. Ce gars-là était un véritable artiste. Les couleurs du ciel avaient depuis longtemps disparu, mais j'étais certain qu'il les voyait encore, en levant les yeux.

Il remit un crayon, violet, dans sa boîte, et sortit un fusain de sa poche. Il l'appliqua en quelques gestes précis sur son ciel, et je le vis devenir réel, comme l'image d'un rêve à la vérité floue. Il le remit dans sa poche et entreprit de descendre de son perchoir. Il ne fit pas un bruit, en atterrissant sur les planches, comme s'il était fait de papier.

Je le regardais toujours avec attention, avec application, comme une œuvre d'art. Il me sourit et je découvris chaque teinte de son visage dans la nuit.

- J'ai fini, on va manger une glace ? J'ai besoin d'une glace à la pêche.

Stay

Little valentine

Stay. 

Le port - TaegiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant