8 - Vanaheim

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Quelques heures d'intense cavalcade plus tard – et trois changements de selle pour soulager les chevaux poussés à bout – Loki parvenait au village suivant. L'aube pointait à peine le bout de son nez par-delà les collines, et le dieu avait désespérément besoin de sommeil. On aurait pu croire que, depuis le temps, les Vanes auraient modernisé leur technologie et leurs moyens de transport, surtout qu'ils en avaient largement les moyens, mais non. Ils aimaient leurs façades de maison rustiques, leurs longues chevauchées dans les collines et leurs différences flagrantes avec les Ases. Surtout leurs différences avec les Ases, en fait.

Ainsi, au lieu d'être au palais royal en l'espace de quelques heures, Loki avait encore au moins trois jours de route devant lui, et cette simple idée le faisait grincer des dents. Mais, parvenu près des barricades sommaires du village, la fatigue vint balayer sa mauvaise humeur, et il fila sans tarder jusqu'à l'auberge la plus proche. Ce fut la fille du propriétaire qui l'accueillit, occupée à nettoyer le comptoir en prévision des rares habitants qui viendraient prendre leur petit déjeuner là.

— Messire, que puis-je pour vous ? s'enquit-elle, sourcils froncés, en le voyant entrer.

— Une chambre pour la journée, lâcha Loki en étouffant un bâillement. Et mes chevaux sont dehors, occupez-vous d'eux.

— Bien sûr, messire.

Il se laissa guider jusqu'à la chambre qu'elle lui choisit, après s'être inscrit sur le registre sous le nom Hvedrung. Un vieil alias de ses mauvais jours, que personne ici ne reconnaîtrait, de toute façon. Une fois seul dans la petite pièce aux murs vétustes – oh, comme il regrettait sa grande chambre sur Asgard ! – il alla s'effondrer sur le lit, et ne bougea plus pour les huit heures qui suivirent.


Il était un peu plus de midi lorsqu'il émergea, toujours fatigué, mais conscient que voyager de nuit serait une provocation supplémentaire au destin. Et, s'il avait bien appris une chose en près de trois millénaires, c'était que le destin ne l'aimait pas, en général. Autant ne pas essayer de lui faire un pied de nez, si c'était pour se reprendre un marteau dans la figure plus tard.

Il passa en premier lieu prendre un semblant de déjeuner, composé majoritairement de légumes qu'il ne connaissait pas, réduits en une bouillie visqueuse – de quoi commencer la journée sur une note très positive – puis paya son séjour ainsi qu'un sac de vivres, et alla récupérer trois des chevaux qu'il avait pris aux brigands. Il garda pour lui l'alezan avec lequel il avait commencé son voyage, ainsi qu'un hongre pommelé qu'il préférait avoir en guise de monture de réserve.

Le propriétaire de l'écurie était un jeune homme d'âge mûr – un petit millénaire, donc – qui en voyant trois nouveaux chevaux pour son écurie eut du mal à contenir sa joie. Mais cela n'entacha pas ses qualités d'acheteur pour autant ; il fit de son mieux pour les obtenir au plus bas prix, négociant à grands renforts de gestes démesurés, jusqu'à ce que Loki parvienne à la somme qu'il désirait. Ils avaient conclu la transaction et les pièces avaient changé de main lorsqu'une ombre furtive jaillit de nulle part, allégeant d'un simple geste la ceinture de Loki.

Le dieu ne mit pas longtemps à comprendre ce qui venait de se passer. Délaissant là son acheteur ébahi, il se rua à la poursuite de la silhouette enfantine qui filait à toute vitesse vers la ruelle la plus proche. Un grognement haineux lui échappa lorsqu'il avisa les pièces qui, dans la précipitation de la voleuse, tombaient de la bourse qu'elle venait de voler ; ceci dit, il ne s'arrêta pas pour autant.

La gamine n'avait jamais eu l'ombre d'une chance, et Loki en était conscient. Si elle avait bien failli le distancer sur quelques mètres, à l'instant où elle s'était retournée pour jeter un regard en arrière, il avait bondi. Sa force de Jötun avait fait le reste, il avait couvert en moins de trois secondes les quinze mètres qui les séparaient, et l'avait attrapée par la gorge pour la plaquer au mur qu'elle avait voulu grimper. Les yeux de la gamine s'écarquillèrent de stupeur alors qu'elle luttait pour faire passer un peu d'air dans sa trachée comprimée. Furieux, Loki riva son regard glacé dans celui, maintenant terrifié, de la fillette, qui lâcha la bourse avec un couinement étranglé.

Les Ténèbres dans nos Cœurs / Partie 3 : Until I find my way to youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant