Il lui fallut une vingtaine de minutes avant que la gamine ne reprenne réellement ses esprits et rompe le silence, que Loki avait considéré comme bienvenu après la presque mésaventure qu'ils avaient eue. Si le père avait insisté, il aurait agi. Il se connaissait assez pour être au moins certain de cela. Et puis, pire, il avait enfin compris pourquoi elle l'avait regardé avec une telle terreur, la première fois. De lui-même, il décida de ne pas aborder le sujet avant qu'elle ne le veuille. Mais, étonnamment, peut-être parce qu'il l'avait tirée du trou perdu dans lequel elle vivait, elle commença là-dessus.
— Je ne pourrai jamais assez vous remercier, messire, souffla-t-elle en accélérant le trot de son cheval pour se porter à sa hauteur. Je vous suis à jamais obligée.
Il lui rendit un simple regard pensif, l'observa un instant. Maintenant qu'il la voyait monter, il remarquait sa raideur lorsqu'elle s'asseyait, la crispation des muscles de son épaule, la grimace de douleur qu'elle réfrénait à chaque instant. Autant de signes qui ne trompaient pas, qui faisaient regretter à Loki de ne pas avoir poignardé l'aubergiste.
— Puis-je te demander ce qui te poussait à vouloir partir ? Réellement ?
Elle détourna les yeux, fixa quelques secondes les arbres qui défilaient sur le côté, se mordilla la lèvre. Certain qu'elle n'allait pas répondre, Loki orienta à nouveau son regard sur la route de terre caillouteuse. Malgré la saison de la récolte, les champs étaient déserts, et leur teinte habituellement vert et or avait disparu, au profit d'un beige grisâtre de fleurs fanées et d'herbes desséchées.
Il fut d'autant plus surpris lorsque la petite voix s'éleva à nouveau, chargée de rancœur :
— Ma mère est partie peu après mon troisième anniversaire... et lorsqu'elle nous a quittés, mon père s'est très vite aigri. Il a commencé à me battre peu après. Mais il n'a jamais levé la main sur ma sœur...
Loki serra les poings sur ses rênes en avisant les larmes qui perlaient dans ses yeux et en entendant le sentiment d'injustice qui faisait trembler sa voix. Mais elle poursuivit, dents serrées et épaules crispées.
— J'ai toujours su que ce n'était pas juste. Mais je n'ai jamais eu la force de l'affronter ou d'aller me plaindre. Et ma sœur... elle ne voyait pas. Ou ne voulait pas voir, peut-être. Donc je me suis dit que m'enfuir...
L'Asgardien secoua lentement la tête, lui aussi tendu. Il regrettait. Oui, il regrettait de ne pas s'être laissé aller, de ne pas avoir écouté son instinct. Inconsciemment, il l'avait deviné, avant même qu'elle ne le formule à haute voix, rien qu'à la façon dont son père la poursuivait. Mais il s'était contenu.
— Je sais que vous avez dit que vous n'exigerez rien de plus de moi, mais si vous désirez me prendre comme servante...
Il se permit un rire, et la regarda à nouveau dans les yeux. Cette fois-ci, elle ne détourna pas le regard.
— Je n'ai que faire d'une servante. Une fois à la capitale, je te laisserai les chevaux, tu pourras en récupérer un peu d'argent pour t'établir en ville, le temps que tu te trouves un travail.
Elle le regarda de travers, étonnée qu'il ait soulevé une telle option.
— Vous ne... Vous ne gardez pas les chevaux ?
— Ils ne me seront d'aucune utilité à l'intérieur du palais...
Il pouffa, mais elle continua de le considérer avec attention, interpellée par ce qu'il venait de dire.
— Qui êtes-vous, en fait ?
La tension dans sa voix lui indiqua que la question n'était pas anodine. Il se permit un sourire, mais ne répondit pas. Il sentait le regard noisette qui pesait sur ses épaules, mais il n'y accorda pas d'importance. Après tout, qui qu'il soit, leur aventure ensemble prendrait fin dans quelques jours, quand ils parviendraient à la capitale. À Sverjafjöl, elle entamerait une nouvelle vie, et lui se présenterait au palais de Freyr en espérant que leurs communications avec Asgard n'étaient pas altérées, pour la millième fois en une décennie.
VOUS LISEZ
Les Ténèbres dans nos Cœurs / Partie 3 : Until I find my way to you
FanficIls ont été téléportés, éparpillés aux quatre coins des neuf mondes. Ils ne savent pas où ils sont, ne savent pas ce qu'ils doivent faire. Ils pressentent seulement que les choses s'accélèrent violemment. Qu'ils n'ont plus le temps de s'arrêter. Qu'...