19 - Ljösalfheim

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Silvester s'avança au centre de l'assemblée, nerveux. Il sentait les prunelles des elfes, de mille et une nuances florales qu'il n'aurait peut-être jamais imaginées, qui le suivaient. Et ce poids, familier, et pourtant si dérangeant, lui donnait l'impression d'être de retour à Weselton. C'était le poids des expectatives, leur masse lourde et rigide, qui pesait sur ses épaules comme ses lourdes capes hivernales.

Il savait ce qu'on attendait de lui, mais il n'était pas certain d'y parvenir. Il n'avait jamais utilisé ses pouvoirs auparavant, pas pour essayer d'aider autant de personnes en une seule fois. Il savait que, s'il n'y arrivait pas, le peuple elfique continuerait de souffrir.

Mais il y avait aussi les yeux d'Alvär, de cet étrange vert cerclé d'outre-mer, qui le considéraient sans crainte ni espoir. Le message qu'ils diffusaient était limpide.

Essaie. Tu n'y perdras rien.

Alors, il prit une profonde inspiration, inclina la tête sur le côté. Quelque part, à côté de cette cavité de l'arbre, Eirik était en train d'essayer de renouer le contact avec sa mère. Silvester n'avait pas exactement compris les explications de l'Örven, mais il savait que l'ourson était une sorte de catalyseur qui leur permettrait éventuellement de communiquer.

Pour sa part, il avait une toute autre mission, intimement liée à la présence encore brûlante de l'Æther dans ses veines. Il serra les dents, considéra avec attention la petite boîte métallique qui lui avait été présentée. À l'intérieur, une large feuille noire aux bords repliés, rattachée par sa tige à une petite branche tout aussi sombre et rabougrie. L'une comme l'autre irradiaient d'obscurité, comme si elles aspiraient la vitalité de tout ce qui les entourait. Même l'air autour paraissait plus terne, plus opaque.

Silvester ferma les yeux. Alvär avait débloqué quelque chose, dans son corps, comme une sorte de potentiel, qu'il n'avait jamais senti jusqu'à maintenant. Il savait instinctivement que, seul, il ne serait jamais parvenu à rien, mais il y avait encore cette discrète présence à ses côtés, celle de l'elfe à la peau sombre.

Guidé par cette étrange impression, il laissa son esprit entrer en contact avec l'Æther. À l'instant où la pierre effleura sa conscience, il gémit de douleur. Mais, pour une raison qui lui échappait, la souffrance n'était plus aussi vive qu'avant. Il serra les dents, luttant pour imposer sa volonté au fluide qui pulsait dans ses veines. Il avait l'impression d'essayer de remonter une rivière à contre-courant, et à voir les larmes qui coulaient en flot ininterrompu le long des joues d'Alvär, ce dernier devait ressentir une douleur similaire.

Et puis, brutalement, il tendit la main vers la petite branche rabougrie, crispa les doigts. Un fluide écarlate s'en échappa, fusa droit vers la feuille contaminée par le Mal Sombre. Celle-ci frémit, parcourue par une nuée de fines particules rougeâtres. Là où la poussière passait, la noirceur de la feuille s'éclaircissait progressivement, jusqu'à ce que le vert légèrement bleuté domine à nouveau.

Médusé, Silvester observait le phénomène avec émerveillement, à peine conscient que c'était lui qui l'avait provoqué. Il se contentait d'admirer la branche qui reprenait à son tour sa couleur d'origine, un marron clair presque beige.

Puis, la réalité le frappa. C'était lui qui avait fait ça. Il avait fait de la magie.

Un rire nerveux lui échappa, brisant le silence concentré qui s'était installé dans le creux de l'arbre. Il tourna la tête vers Alvär, qui lui rendit un sourire rassurant, étincelant de bonheur.

— L'Æther est la pierre de la réalité, expliqua l'elfe avec un soulagement à peine contenu. Bien utilisée, elle peut modifier la structure même d'un univers.

Les Ténèbres dans nos Cœurs / Partie 3 : Until I find my way to youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant