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La verrière était recouverte d'une fine pellicule soyeuse, la neige avait gagné la ville. Baekhyun se dressa sur son lit, tentant de regarder au-dehors. Il souleva un pan de la vitre et le referma aussitôt, glacé par le froid.

Les yeux encore embués de sommeil, il tituba jusqu'à son réchaud et mit la bouilloire sur la flamme. Chanyeol avait eu la générosité de laisser sa boîte d'allumettes sur l'étagère. Il sourit en repensant à la soirée de la veille.

Baekhyun n'avait pas envie de se mettre au travail. Un jour de Noël, à défaut de famille à visiter, il irait se promener au parc.

Chaudement vêtu, il quitta son appartement sur la pointe des pieds. L'étage était silencieux, Chanyeol devait probablement encore dormir.

La rue était d'un blanc immaculé et cette vision l'enchanta. La neige a ce pouvoir de recouvrir toutes les salissures de la ville et même les quartiers les plus tristes trouvent une certaine beauté au creux de l'hiver.

Un tramway approchait, Baekhyun courut vers le carrefour, grimpa à bord, acheta son billet et s'assit sur une banquette au fond de la rame.

Une demi-heure plus tard, il entra dans Giging Park. Il s'arrêta devant le petit lac. Les canards glissaient sur l'eau sombre, venant vers lui dans l'espoir de recevoir un peu de nourriture. Il regretta de n'avoir rien à leur offrir. De l'autre côté du lac, un homme assis sur un banc lui fit un signe de la main. Il se leva. Ses gestes de plus en plus amples l'invitaient à venir le rejoindre. Les canards se détournèrent de Baekhyun et firent demi-tour, filant à toute vitesse vers l'inconnu. Baekhyun longea la berge, il s'approcha de l'homme qui s'était accroupi pour donner à manger aux palmipèdes.

— Chanyeol ? Quelle surprise de vous trouver ici, vous me suiviez ?

— Ce qui est surprenant c'est qu'un inconnu vous sollicite et que vous couriez à sa rencontre. J'étais ici avant vous, comment aurais-je pu vous suivre ?

— Que faites-vous là ? demanda Baekhyun.

— Le Noël des canards, vous l'aviez oublié ? En sortant prendre l'air, j'ai retrouvé dans la poche de mon manteau le pain que nous avions chipé au pub, alors je me suis dit, quitte à me promener, autant venir nourrir les canards. Et vous, qu'est-ce qui vous amène ici ?

— C'est un endroit que j'aime.

Chanyeol brisa deux bouts de pain et en partagea les morceaux avec Baekhyun.

— Ainsi, dit Chanyeol, notre petite escapade n'aura pas servi à grand-chose.

Baekhyun ne répondit pas, occupé à nourrir un canard.

— Je vous ai encore entendu faire les cent pas durant une bonne partie de la nuit. Vous n'avez pas réussi à trouver le sommeil ? Vous étiez pourtant fatigué.

— Je me suis endormi et réveillé peu de temps après. Un cauchemar, pour ne pas dire plusieurs.

Chanyeol avait donné tout son pain, Baekhyun aussi. Chanyeol se redressa et tendit sa main à Baekhyun pour l'aider à se relever.

— Pourquoi ne pas me dire ce que cette voyante vous a révélé hier ?

Il n'y avait pas grand monde dans les allées enneigées du parc. Baekhyun fit le compte rendu fidèle de sa conversation avec la voyante, évoquant même le moment où celle-ci s'était accusée de n'être qu'imposture.

— Quelle étrange volte-face de sa part. Mais puisqu'elle vous a avoué sa charlatanerie, pourquoi vous entêter ?

— Parce que c'est justement là que j'ai commencé à croire en elle. Je suis pourtant très rationnel et je vous jure que si mes meilleurs amis me racontaient le quart de ce que j'ai entendu, je me moquerais d'eux sans retenue.

— Laissez vos meilleurs amis tranquille et concentrons-nous sur votre affaire. Qu'est-ce qui vous trouble à ce point ?

— Tout ce que cette voyante m'a dit est choquant, mettez-vous à ma place ?

— Et elle vous a parlé d'Iyaphill ? Quelle drôle d'idée ! Il faudrait peut-être vous y rendre pour en avoir le cœur net.

— C'est effectivement une drôle d'idée. Vous voulez m'y conduire dans votre Austin ?

— Je crains fort que cela se trouve hors de son rayon d'action. Je disais cela comme ça.

Ils croisèrent un couple qui remontait l'allée. Chanyeol se tut et attendit qu'ils se soient éloignés pour reprendre sa conversation.

— Je vais vous dire ce que vous perturbe dans cette histoire. C'est que la voyante vous ait promis que l'homme de votre vie vous attendait au bout de ce voyage. Je ne vous jette pas la pierre, c'est en effet d'un romantisme fou et très mystérieux.

— Ce que me tracasse, répondit sèchement Baekhyun, c'est qu'elle prétende avec tant d'assurance que je suis né là-bas.

— Mais votre état civil vous prouve le contraire.

— Je me souviens, lorsque j'avais dix ans, d'être passé devant le dispensaire* de Ginger avec ma mère et je l'entends encore me dire qu'elle m'y avait mise au monde. *établissement où l'on soigne les malades, donne des médicaments etc, gratuitement.

— Alors, oubliez tout cela ! Je n'aurais pas dû vous conduire à Jijula, je croyais bien faire, mais ce fut tout le contraire et je vous ai poussé à accorder de l'importance à quelques chose qui n'en a pas.

— Il est temps que je me remette au travail, l'oisiveté* ne me réussit guère. *paressé.

— Qu'est-ce qui vous en empêche ?

— J'ai eu la très mauvaise idée hier de m'enrhumer, ce n'est pas bien grave, mais assez invalidant dans mon métier.

— On raconte que si l'on soigne un rhume, il ne dure qu'une semaine et que si l'on ne fait rien, il faut sept jours pour en guérir, dit Chanyeol en ricanant. Je crains que vous ne deviez prendre votre mal en patience. Si vous avez pris froid, vous feriez mieux de rentrer vous mettre au chaud. Ma voiture est garée juste devant, c'est au bout de ce chemin. Je vous raccompagne.

L'Austin refusait de démarrer, Chanyeol pria Baekhyun de s'installer au volant, il allait pousser. Dès que la voiture prendrait un peu de vitesse, il n'aurait qu'à relâcher la pédale d'embrayage.

— Ce n'est pas compliqué, assura-t-il, pied gauche enfoncé puis un petit coup sur le pied droit quand le moteur sera lancé et ensuite les deux pieds sur les deux pédales de gauche, le tout en gardant bien les roues dans l'axe de la rue.

— C'est très compliqué ! protesta Baekhyun.

Les pneus patinaient sur la neige, Chanyeol glissa et s'étala de tout son long sur la chaussée. A l'intérieur de l'Austin, Baekhyun, qui avait observé la scène dans le rétroviseur, riait aux éclats. Dans l'euphorie du moment, l'idée lui vint de tourner la clé de contact, le moteur toussa et démarra, et Baekhyun rit de plus belle.

— Vous êtes certain que votre père était pharmacien et non mécanicien ? demanda Chanyeol en s'installant à la place du passager.

Son pardessus était couvert de neige et son visage n'avait pas meilleure allure.

— Je suis désolé, ça n'a rien de drôle, mais c'est plus fort que moi, répondit Baekhyun, hilare.

— Eh bien allez-y, grommela Chanyeol, engagez-vous sur la route puisque cette saleté de voiture semble vous avoir adopté, nous verrons si elle sera aussi soumise quand vous accélérerez.

— Vous savez que je n'ai jamais conduit, répliqua Baekhyun toujours enjoué.

— Il faut une première fois à tout, répondit Chanyeol, impassible. Appuyez sur la pédale de gauche, embrayez et relâchez doucement en accélérant un peu.

Les roues chassaient sur la pavé glacé. Baekhyun, agrippé au volant, remit la voiture dans l'axe avec une dextérité qui impressionna son voisin.

En cette fin de matinée de Noël, les rues étaient presque désertes, Baekhyun conduisait en écoutant scrupuleusement les conseils de Chanyeol. Hormis quelques freinages un peu brusques qui lui valurent de caler deux fois, il réussit à les ramener chez eux sans le moindre incident.

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Le VoisinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant