Prologue

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Un soir d'été à Bali. Le soleil se couchait, laissant apparaître de majestueuses traînées orangées dans le ciel. Le sable encore chaud. La mer lisse comme de l'huile. Et puis, une jeune fille assise là. Un livre écorché entre les mains. Ses longs cheveux flottaient légèrement avec la brise.

Au fil de sa lecture, elle plissait son nez parsemé de taches de rousseur, apparu avec les rayons du soleil. Son maillot était encore humide, ses cheveux habituellement si lisses, ondulaient avec le sel. Elle lisait pour la quatrième fois Martin Eden de Jack London. C'était le même bouquin auquel faisait référence continuellement l'homme qui avait été si cher à son cœur.

Elle essayait de comprendre, en vain. Dans un élan de désespoir elle s'était mise à lire tous les livres desquels l'homme qu'elle avait tant aimé , lui avait parlé. L'homme qu'elle, à son grand damne, aimait toujours, éperdument.

Les pages du livre étaient abîmées, à force d'être parcouru par les doigts de la jeune fille. Elle avait un rythme de lecture effrénée. Comme si en buvant les mots de l'auteur, elle allait pouvoir mettre le doigt sur ce qui lui avait échappé. Comme si elle allait comprendre pourquoi cet homme lui avait fait tant de mal. Elle lisait le livre comme s'il s'agissait des mémoires de ce fameux rappeur. Elle en oubliait parfois, que ce n'était qu'un roman, qu'une fiction.

Excédée par l'incompréhension des actes de celui auquel appartenait le nom qu'elle se refusait de penser , elle leva les yeux de son bouquin. Un éclair de rage traversa ses prunelles. Elle se leva brusquement, se précipitant au bord de l'eau et lança de toutes ses forces ce bouquin.

Au début elle fut soulagée et prit un malin plaisir à voir cet ouvrage sombrer dans l'océan. Puis lassée elle se détourna de la plage, en direction de sa maison. Prise de remords elle se précipita dans la mer, afin de le récupérer. Il était bon pour être foutu à la poubelle. Elle savait que dès le lendemain elle ferait plusieurs kilomètres afin de s'en procurer un nouvel exemplaire. C'est ce qu'elle faisait depuis plusieurs mois. Une larme de frustration lui échappa quand elle prit conscience du cercle vicieux dans lequel elle s'était embarquée. Une seule question résonnait dans sa tête, encore et encore. « Pourquoi il m'a fait ça ? »

En entrant dans la maison elle croisa le regard de la seule personne qui lui permettait aujourd'hui d'avancer. La personne qui supportait le poids des démons de la jeune femme. Quand il vit la lueur dans ses yeux il comprit. Il comprit qu'elle avait réitéré. « Arrête de t'infliger ça, Zhar-ptitsa ». Elle s'apprêtait à se réfugier dans ses bras quand des pleures leur parvinrent depuis la pièce voisine. Il partit dans cette fameuse pièce. Quand il revint il tenait un nourrisson d'à peine quelques semaines dans ses bras. La jeune femme s'inquiétait « Qu'a t-il? ». Il lui répondit simplement « il a juste besoin de sa mère ». Les deux abordaient un air terriblement triste. Elle récupéra le nourrisson pour aller le nourrir. 

Voilà ce qu'était son quotidien depuis des semaines: lire sans cesse les livres de celui qui était la cause du trou béant dans son coeur, se réfugier dans les bras de celui qu'elle appelait son « spasitel' » (nda: « sauveur » en russe), puis s'occuper du bébé qui lui permettait de penser à autre chose qu'à lui. Lui qui avait arraché son coeur de sa poitrine et qui l'avait bousillé, écrasé.

Avant d'aller se coucher elle passa devant un miroir. Elle était amaigrie mais sa santé n'était pas en danger. Elle observa son visage. Sa bouche, ni pulpeuse, ni fine, était légèrement rosée de par le soleil. Ses yeux noisette étaient en amande, elle les trouvaient trop grand pour son visage. Elle se concentra sur son nez. Il était fin, petit et droit, « si seulement il n'était pas parsemé de taches », pensait-elle. Sa nuque était délicate et paraissait si fragile, comme s'il lui suffisait de tourner brusquement la tête pour la briser. Elle avait l'air si fine, si douce, cette apparence l'indisposait au plus au point. Elle paraissait aussi fragile à l'extérieur qu'à l'intérieur, ce qui n'était pas le cas avant. Elle avait toujours eu des faiblesses mais elle était connue comme une femme forte. Avant, quand elle marchait dans la rue les passants étaient subjugués par sa beauté. À présent ils abordaient tous une mine pleine de compassion, une telle tristesse sur un si beau visage, ce n'était décidément pas humain.

Elle s'attarda sur sa masse de cheveux. Elle les avaient si longs, elle les avaient toujours eu longs. C'était sa marque de fabrique. Mais elle voulait du changement. Elle ne voulait plus être reconnue, elle ne voulait plus qu'il soit capable de la reconnaitre. Elle ne voulait plus de son regard sur elle. Elle ne voulait plus qu'il la reconnaisse dans la rue. 

Ce qu'elle ne soupçonnait pas, c'est qu'il pouvait la reconnaitre quel que soit son physique. C'est son âme qu'il reconnaîtrait entre mille. Une âme comme la sienne, ça ne s'oublie pas. Mais elle était décidée, demain à la première heure, elle allait se couper les cheveux. Court. Elle allait se couper les cheveux court. Vraiment très court. 

Incompatibles - TOME 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant