4 - LES TROIS VOLEURS

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Le jour pointa en un rien de temps, Laurasia en fut ravie. La température ambiante était décidément trop basse pour son métabolisme, et les rayons du soleil étaient plus que bienvenus.

Depuis qu'elle avait quitté le port, elle errait dans une épaisse forêt humide et sombre. Il y faisait plus froid que dans les rues bondées, mais la brise matinale et son agréable chant glacé sifflaient entre les branches et l'aidaient à oublier les frissons et la goutte qui lui pendait au nez. Elle préférait largement les obstacles de la forêt sauvage à la civilisation, elle était plus apte à les affronter. Ici, les odeurs étaient moins agressives, elles étaient même très intéressantes et atypiques. Pour elle, c'était un vrai bonheur.

L'écorce des arbres, la mousse, les feuilles mortes, l'herbe tendre, les champignons... Tous dégageaient un arôme particulier. S'y ajoutait une bizarre odeur de cendre dont elle n'arrivait pas à deviner pas la provenance. Tout cela était d'une nouveauté fantastique ; elle ne cessait de faire des arrêts pour toucher, sentir, ramasser et contempler tout ce qui se trouvait sous yeux. Les hauts hêtres et les vieux chênes couverts de lierre grimpant la fascinaient. Jamais elle n'avait vu de tels arbres de sa vie. Leur feuillage était si dense qu'elle discernait à peine le ciel. Ils n'avaient rien de commun avec les arbustes secs et robustes du désert.

Une goutte d'eau lui tomba sur le haut du crâne et la fit grelotter. Alors que le soleil se levait paisiblement, les oiseaux, eux, étaient réveillés depuis belle lurette et piaillaient à n'en plus finir. Ils poussaient de petits cris mélodieux et réguliers, afin d'avertir leurs congénères de l'arrivée de Laurasia et du danger qu'elle représentait, en tant qu'être humain. Laurasia se demanda quelles sortes d'oiseaux produisaient ces mélodies ; elle avait l'habitude des émeus et des serpentaires, voir même des quelques gallinacés sauvages du désert, proies favorites des oras, mais aucun d'entre eux ne chantaient avec une telle clarté. Elle écoutait leurs échanges avec assiduité, puis sifflait à son tour, pour voir s'ils lui répondaient. Son enthousiasme se fit encore plus grand lorsqu'elle chanta son propre air et que les oiseaux l'imitèrent à la perfection. Communiquer avec les animaux était sa spécialité, elle fut d'autant plus heureuse de constater qu'un brutal changement de continent ne changeait pas cet état de fait.

Une seule chose gâchait son plaisir : sa propre odeur.

Elle ne s'était pas lavée depuis des lustres et elle devait transporter un nombre absolument incroyable de bestioles et de parasites sur elle. Ses cheveux, déjà suffisamment indisciplinés en temps normal, étaient endommagés par le sel marin et sa peau exhalait des relents de colonie bactérienne. En tant normal, elle aurait ignoré la potentielle gêne des autres créatures quant à son hygiène, mais si elle s'en trouvait elle-même dérangée, au point de plus reconnaître les odeurs du secteur, c'est qu'il était tant de prendre un bon bain. Il y avait aussi un risque pour que les nombreuses écorchures de ses jambes s'infectent. Elle frissonna à l'idée de se baigner dans une eau glacée, mais elle n'avait pas le choix. Il fallait qu'elle trouve un ruisseau ou tout autre point d'eau.

Elle ne perdit pas de temps et, à la manière des reptiles, sortit le bout de sa langue pour goûter l'air afin d'y recueillir toutes les informations qui lui permettraient de trouver un endroit adéquat. C'était là un autre privilège que lui conférait son état de thérianthrope. Malheureusement, cette technique efficace dans le désert l'était moins ici ; tout était humide. Et les autres arômes forestiers lui brûlaient les sens comme un départ d'incendie. Dans ses conditions, elle aurait du mal à suivre une piste. Elle décida de continuer à avancer, de toute façon, elle attendrait que le soleil soit haut dans le ciel pour se baigner, il fallait qu'elle puisse se réchauffer tout de suite après.

Elle eut de la chance, alors que l'astre atteignait son zénith, elle tomba sur une rivière qui traversait la forêt de part en part. Elle était calme, bien dégagée et d'énormes rochers polis gisaient dans son lit. Laurasia sourit à l'idée de s'y lover une fois propre, afin de réchauffer son sang. Elle s'approcha de la berge : l'eau était claire et de belles algues verdoyantes ondulaient au rythme du courant, lui faisant penser à une longue chevelure féminine. Elle s'accroupit, sans prêter attention à ses chaussures qui s'enfonçaient dans la boue, et trempa sa main dans l'eau. Le froid lui mordit la peau, mais elle s'en accoutuma au bout d'une bonne minute. Elle était prête.

Le Cimetière des Chats Où les histoires vivent. Découvrez maintenant