19 - LA PEUR DU CROQUE-MITAINE

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Calmer tout le monde fut assez compliqué. A peine avaient-ils franchit le pas de la porte qu'une marée de petites mains les enlacèrent, palpèrent, assaillirent de questions incompréhensibles dans tout ce bruit. Difficile de distinguer des mots intelligibles sous les sanglots et les nez morveux. Alice libéra Bill du poids de Laurasia et lui laissa pour mission de calmer tout le monde. Il acquiesça sans broncher alors que Guénolé le serrait beaucoup trop fort.

Elle gravit les marches de la maison, stoppa les quelques filles qui se précipitaient vers elle en leur disant qu'elle viendrait les voir plus tard, puis s'enferma dans l'ancienne chambre du trio, où Laurasia avait entreposé quelques affaires.

Elle la lâcha brutalement sur le matelas de fortune – le bruit de sa chute entraîna un gros « pouf » ridicule – puis elle s'appuya contre le mur en poussant un long soupir de soulagement.

- Elle pèse son poids celle-là, marmonna-t-elle en l'installant plus confortablement.

Elle finit de lui placer la couverture sur le dos, et se laissa glisser au sol. Elle était épuisée, il ne restait que peu de temps avant que le contrecoup de la soirée ne l'atteigne. Elle mourait d'envie de se laisser aller et de fondre en larmes, mais elle ne pouvait pas encore se le permettre. Elle n'y couperait pas, il fallait qu'elle explique la situation à tout le monde. Cette pensée lui arracha un sourire ironique, elle n'avait jamais imaginé qu'elle aurait à le faire un jour, elle n'avait aucune idée de la façon dont elle allait leur présenter les choses. Comment explique-t-on à des enfants que le monstre qui sort la nuit pour les manger est finalement mort ?

Le grincement de la porte interrompit ses pensées. Bill passa la tête dans la chambre, elle n'avait pas remarqué à quel point lui aussi avait l'air épuisé. Il avait pris cinq ans en une soirée. Cette pensée l'attrista.

- Euh, Alice ? Demanda-t-il poliment. Je crois que tu vas devoir leur expliquer, j'ai du mal à...

Il ne termina pas sa phrase, mais elle opina du chef.

- Ca va, je vais y aller. Reste là et repose-toi. Je reviens.

Elle se releva, et quitta la pièce en fermant la porte derrière elle. Bill resta hagard quelques secondes avant de prendre sa place contre le mur. Il s'assit en tailleur, et fixa un point imaginaire sur le lit. Les piaillements des autres enfants s'étaient faits plus lointain, à présent, il se laissa bercer par la respiration régulière de Laurasia. Il était complètement ensuqué. Les événements de la soirée repassaient en boucle dans sa tête ; la bête qui avait failli la dévorer, Laurasia qui bondissait comme un animal pour l'arrêter, Alice qui levait sa torche dans la nuit pour le protéger...

Des milliers de questions l'assaillaient sans discontinuer. Il était épuisé, mais ces interrogations rebondissaient dans son cerveau comme des coups de tonnerre et l'empêchaient de piquer du nez. Il baissa la tête et observa ses mains : elles tremblaient de toute part. Ses épaules aussi furent bientôt secouées de spasmes nerveux. Il n'avait pourtant pas froid. Il se pencha vers le second lit et tira la couverture, celle de Léni, à lui. Il s'enroula dedans, tout en continuant de trembler.

Les voix en bas des escaliers semblaient s'être calmées. Alice avait réussi à leur parler. Elle est forte, pensa-t-il, tout en ne sachant pas depuis combien de temps elle était sortie de la chambre. Cela pouvait aussi bien être une heure, que dix minutes. Il n'avait plus tellement la notion du temps.

Laurasia remua dans son sommeil. Elle fronçait les sourcils et ses cheveux changeaient de couleur discrètement. Il la fixa quelques instants et se sentit de nouveau submergé par les questions. Si elle n'avait pas été là, il serait mort.

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