20 - LE CRYPTOZOOLOGUE

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Totalement mon chapitre préféré <3 J'ai pris énormément de plaisir à l'écrire. 

Mais gros TW : violence, dissection, description graphiques liées à la mort et à la décomposition. 

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Des heures ! Des heures qu'il attendait là, en plein cagnard, à subir des vagues de puanteur si tenaces qu'elles le faisaient vaciller à chaque nouvelle brise. Il n'avait qu'une envie : fuir au plus vite vers le port et s'enfermer dans le premier bistro qui aurait la gentillesse de l'accueillir malgré les relents nauséabonds qui avaient contaminé ses vêtements.

Ses hommes n'étaient pas dans un meilleur état que lui ; tous avaient le teint verdâtre et n'osaient pas approcher la carcasse à moins de trois mètres. Le jour de la catastrophe, par professionnalisme orgueilleux, il s'était auto-désigné pour en être le plus proche et établir un périmètre de sécurité, mais il l'avait très vite regretté. Jamais il n'avait vu chose plus répugnante que cette créature. Il n'y avait rien de normal avec ce cadavre : tout n'était que chair noire carbonisée, os saillants et énormes dents jaunies. Lui qui avait été habitué aux petites rixes entre parieurs ou aux mesquineries entre voisins, il n'était pas armé pour appréhender pareil prodige. Et le voisinage non plus.

Depuis trois jours, tous défilaient pour leur hurler de faire quelque chose de ce corps monstrueux. Et il ne pouvait pas leur donner tort ; les touristes fichaient tous le camp les uns après les autres, et plus personne ne faisait de halte dans le coin : l'odeur repoussait les voyageurs, et les auberges se retrouvaient vides. Les commerçants – du moins ceux qui avaient encore une vitrine intacte – se démenaient pour lui rendre la vie infernale. Lui et les autres officiers répétaient, à longueur de journée, qu'ils avaient pour consigne de ne rien toucher jusqu'à l'arrivée du « spécialiste ».

Le simple fait de penser à sa venue lui causait d'horribles brûlures gastriques, mais il devait bien avouer qu'à présent il avait plutôt hâte de le voir arriver. Plus vite il serait là, et plus vite il pourrait s'éloigner de cet immonde tas de viande en décomposition. Son principal ennemi dans cette histoire était le patriarche de la famille Loir. L'homme était celui qui avait choisi de faire appel à un tiers depuis le départ, et maintenant il était celui qui les maintenait tous en laisse pour que le cadavre reste accessible jusqu'à ce que l'énigme soit résolue.

La perte de son enfant avait obscurci son jugement, il avait multiplié les ordres tyranniques à son encontre ainsi qu'à celle des autres officiers. En tant qu'oligarque du secteur, il était celui qui les finançait et à présent il les menaçait de leur couper les vivres s'ils s'opposaient à son bon vouloir. La survie de la ville lui importait peu, tout ce qui l'intéressait, c'était que l'enquête aboutisse à un résultat. Pourtant, il n'y avait plus vraiment de doute sur le responsable de la tragédie, qu'espérait-il de plus ?

Ce matin encore, il était venu – à la différence de lui et de ses hommes, il s'était octroyé le luxe de porter un mouchoir sur le nez – et les avait sermonné pendant une demi-heure qu'ils ferait mieux de dresser une tente autour du cadavre pour faciliter le futur travail d'inspection et couper les mauvaises odeurs. Ils s'étaient exécutés mais la puanteur avait persisté. Au moins, s'était-il dit, il n'y a plus à poser les yeux sur cette horreur. 

Les seuls qui n'avaient pas l'air incommodé par les événements étaient les enfants pouilleux de la ville. Ils tiraient profit des instants où les commerçants venaient en horde pour se plaindre et saisissaient l'occasion pour leur faire les poches. En temps normal, il aurait envoyé ses hommes leur courir après et leur flanquer une bonne trempe, mais Loir les maintenait sur place comme s'ils étaient sa milice personnelle. Non seulement il ne pouvait plus faire son métier correctement, mais en plus il était obligé de rester à proximité d'un essaim de mouches affamées.

Le Cimetière des Chats Où les histoires vivent. Découvrez maintenant