3 - FAIBLESSE ET RICHESSE

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« Tiens, aide-moi à décharger ça.

- T'es dingue ou quoi ? Ça doit peser plus de cent kilos ce truc !

- Pourquoi j'ai dit « aide-moi » à ton avis ? Arrête de geindre et ramène ton cul tout de suite. 

Laurasia marmonna. Ces voix rocailleuses la tirèrent de son sommeil, sans aucune douceur. Ce qui n'avait rien d'anormal, puisque les hommes à l'origine du boucan n'avaient pas conscience de sa présence ; ils se contentaient de sortir la cargaison du navire en braillant. Les échos de leurs ordres rebondissaient sur les parois métalliques du bateau et venaient heurter les tympans de Laurasia avec violence. Elle émergea lentement de son long repos ; ses membres étaient engourdis et douloureux. Par miracle, elle avait réussi à s'endormir pour toute la durée du voyage, le froid l'y avait aidée, et maintenant elle en payait les frais. Son corps était si lourd qu'elle ne parvenait à bouger qu'avec une extrême lenteur. Les aspérités du métal s'étaient imprimés sur sa peau et formaient de petites crevasses rouge sur son visage, à l'endroit ou se trouvait sa cicatrice.

Elle s'assit en tailleur et tâcha de retrouver ses esprits. Pendant que ses muscles tardaient à se rappeler leur fonctionnement, elle se pencha au-dessus de sa cachette et observa les travailleurs en mouvement. En temps normal, elle se serait enfuie sans qu'ils puissent la voir, mais compte tenu de son état, elle ne pouvait pas se permettre la moindre tentative de saut. L'appréhension la gagna peu à peu, comment allait-elle quitter ce cloaque infernal ?

Son cerveau retrouva peu à peu ses facultés cognitives et lui permit de constater que ses organes aussi souffraient atrocement. La soif et la faim lui tordaient les tripes et asséchaient sa bouche. Elle porta ses doigts à ses lèvres et nota la présence de nombreuses gerçures. Ce n'était qu'une question de minutes avant qu'elle ne se mette à saigner. Elle jeta un nouveau coup d'œil en contrebas et vit les divers conteneurs que les marins n'avaient pas encore déchargés. Elle avait là sa solution, il lui suffirait de se cacher à l'intérieur d'une de ces caisses et de se faire transporter à l'extérieur sans être repérée.

Elle glissa le long d'un tuyau épais et se laissa tomber un étage plus bas. Malheureusement, sa chute fut sonore. Non seulement elle poussa un cri de douleur par la faute de ses articulations rouillées, mais le choc de l'atterrissage produisit un « Bam ! » qui n'échappa à personne. Elle eut assez d'énergie pour se précipiter entre deux caisses avant d'être repérée.

- C'était quoi ça ? Qui a fait tomber le matos ? Demanda une voix puissante.

Elle émanait d'un marin plus âgé et plus massif que les autres, ses épaules étaient aussi larges qu'un buffet. Laurasia en déduisit qu'il devait être le chef de ce groupe d'ouvriers, à en juger par la crainte qu'il inspirait aux autres : sur son passage, tous s'écartaient avec respect. Il inspecta l'endroit où elle avait chuté mais, ne constatant aucun dégât, il ordonna la reprise du travail tout en maudissant la piètre qualité des conteneurs. Chacun reprit sa tâche sans se douter qu'une femme pearlienne se cachait dans les environs. Laurasia observa un des conteneurs ; ils étaient maintenus fermés par des clous et un cordage très épais. Elle força ses neurones à se remuer ; il n'allait pas être facile de s'y cacher. Par chance, elle en repéra un, légèrement endommagé. L'une des planches, qui le maintenait fermé, était enfoncée. Elle se positionna devant, et après s'être assuré que l'attention des marins était détournée, elle brisa le bois humide de trois coups de pieds. Même affaiblie, sa force restait impressionnante, elle n'eut pas trop de difficulté à faire céder la planche qu'elle avait pris pour cible. Il aurait fallu qu'elle réitère l'opération sur une deuxième latte, mais une ouverture aussi voyante aurait, à coup sûr, retenu l'attention. Elle ne fit pas la difficile et essaya de se faufiler par l'interstice. Ce fut laborieux, son corps avait beau être féminin, il restait plus musclé que la moyenne et elle éprouva toute la difficulté du monde à faire passer ses épaules à l'intérieur. Mais elle n'était pas une femme reptile pour rien, avec un peu de patience, elle parvint à se glisser entièrement dans le conteneur.

Le Cimetière des Chats Où les histoires vivent. Découvrez maintenant