14 - LE RÉCIT DE MADAME VIGNE

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Les deux femmes marchaient dans la grande rue passante et esquivaient les insultes des promeneurs tant bien que mal. Depuis la crise de colère d'Alice sur les lieux du drame, sa réputation avait empiré. Quelques femmes l'accusaient d'avoir manqué de respect à la famille du défunt et lui jetaient des regards de dégoût que Laurasia n'avait jamais essuyés, même en temps que thérianthrope.

- Comment fais-tu pour supporter ça ? Grommela-t-elle entre ses dents, s'imaginant déjà la punition qu'elle leur aurait infligée, si ces mégères avaient eu l'audace de s'en prendre à elle.

- On s'habitue. Et je n'ai pas assez de temps dans une journée pour leur faire la guerre.

Elles s'arrêtèrent à l'ombre d'une maisonnette en pierre pour mettre au point leur plan, à l'abri des regards.

- Qu'est-ce qu'on fait ? On emploie la manière forte ? Demanda Alice, qui montrait une vive envie d'en découdre depuis qu'elle avait entendu les révélations sur le monstre.

- Ce n'est peut-être pas une bonne idée. On en apprendrait plus en fouillant à l'intérieur des tentes.

- Tu as déjà fouillé ! S'impatienta-t-elle. Il est temps de les faire cracher.

- Et Léni alors ? Tu veux le retrouver non ?

- Bien sûr que oui, mais...

Alice se tut brusquement. Ses yeux survolèrent l'épaule de Laurasia pour fixer quelque chose derrière elle. Laurasia n'eut pas le temps de se retourner qu'Alice lui suggéra de s'éloigner. Elle se précipita quelques mètres plus loin, et lorsqu'elle s'apprêta à la suivre sans demander son reste, une voix extraordinairement feutrée s'éleva jusqu'à elle.

- Il ne faut pas aller là-bas.

Une très vieille femme, engoncée dans une robe de bure grise et écrasée par son propre chignon, se tenait elle aussi à l'ombre des murs. Elle était si petite que Laurasia avait d'abord cru qu'elle était assise. En dépit de ses yeux lourdement voilés par la cataracte, elle la fixait droit dans les yeux. Alice revint à grandes enjambées et attrapa Laurasia par l'épaule.

- Laisse tomber, c'est une vieille folle. Magne-toi.

Laurasia voulut obéir, mais le regard à la fois torve et perçant de la vieille avait quelque chose de paralysant. Ses pupilles floues sautèrent en direction d'Alice et son visage prit une expression atrocement désolée.

- Petite, c'est terrible ce qui t'es arrivé.

- Ne m'adressez pas la parole, siffla Alice avec méchanceté. Viens maintenant, on a autre chose à faire.

Elle tira si fort sur la veste de Laurasia que celle-ci fut obligée de lui céder, elle consentit à la suivre.

- Cela faisait une éternité que je n'avais pas vu de gens comme toi, dit-elle à Laurasia dans un souffle épuisé.

- De gens comme moi ?

Elle s'immobilisa de nouveau et Alice faillit tomber en essayant de la traîner à l'écart. Elle soupira de colère et insista pour que Laurasia bouge, mais cette fois la vieille dame l'avait bel et bien hypnotisée.

- Oui, répondit-elle. Des thérianthropes.

Cette fois, Alice se figea aussi. La surprise sur son visage était réelle. Elle regarda Laurasia, dont les cheveux s'étaient légèrement foncés, et attendit la suite.

La vieille s'approcha des deux jeunes femmes, si lentement qu'elles crurent que le temps s'était arrêté, puis elle les invita à l'accompagner.

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