Le Cimetière des Chats

15 - AVEUX

Laurasia et Alice avaient regagné la maison rouge – talonnées par Bill et Guénolé – en attendant la représentation qui devait avoir lieu le soir même. Retrouver son carnet de croquis avait rendu à Laurasia une jovialité qu'Alice n'avait pas encore eu le loisir d'observer chez elle. Elle se montra étonnamment amicale avec les enfants. C'est-à-dire qu'elle se contentait de les ignorer plutôt que de les fuir comme la peste. Elle accepta même de les rassurer au sujet du cobra qui avait passé la journée lové dans son dos.

La thérianthrope fut surprise de constater que tous en avait fait leur mascotte et l'avait affectueusement baptisé « grozyeux ».

Malgré la sympathie que les pensionnaires de la maison manifestaient désormais à son égard, elle préféra disparaître pendant plusieurs heures. De multiples paires d'yeux s'acharnèrent à trouver sa cachette, en vain. Bill ne partageait pas l'allégresse des plus jeunes. Il était d'une humeur massacrante et regrettait de ne pas avoir saisi quoi que ce soit de la conversation que son ennemie et Alice avait eu sur le toit des heures plus tôt. Il avait convaincu Guénolé d'approcher la maisonnette de la vieille dame chez qui elles étaient entrées, mais là encore, leur session d'espionnage s'était soldée par un échec. Tout ce qu'il avait compris était que les deux femmes projetaient d'entrer dans le cirque pendant la représentation. Alice croyait-elle encore qu'il y avait une chance d'y trouver Léni ? Quel intérêt avait-elle à suivre cette étrangère comme son ombre ? Il n'y comprenait rien et en venait à émettre des hypothèses toutes plus farfelues les unes que les autres.

Guénolé se sentait moins concerné, il avait énormément de mal à aller contre la volonté de leur patronne. Il avait traîné la patte toute la journée et apprécia de pouvoir enfin se vautrer sur l'un des fauteuils de la cuisine. Bill, bien qu'agacé, le laissa tranquille pour le reste de l'après-midi. Il ne voulait pas prendre le risque de perdre son unique allié dans cette bataille.

Il s'isola dans un coin du salon, boudeur, et plus personne ne lui prêta attention. Sauf Alice, qui avait remarqué que son comportement se faisait de plus en plus renfermé. Elle savait qu'il mijotait quelque chose, mais son esprit était focalisé sur d'autres pensées pour l'instant. Depuis que Laurasia était sortie de la forêt, une boule douloureuse lui paralysait les entrailles. Elle était maintenant totalement certaine que ses souvenirs allaient refaire surface d'un moment à l'autre, et cette idée la terrifiait. Le monstre n'était plus un vague sentiment confus au fond de son cœur, c'était une réalité. Brutale, cruelle et incompréhensible. Le témoignage de madame Vigne l'avait bouleversée. La vieille femme portait seule ce fardeau sur ses épaules, depuis des décennies. Il n'y avait rien d'étonnant à ce que son esprit ce soit effrité à force de ne pouvoir partager sa souffrance.

Au moins, se rassura-t-elle, lorsque la mémoire me reviendra, je ne serais pas seule.

Laurasia ne réapparut qu'à la tombée de la nuit, une fois que les enfants les plus jeunes fussent endormis aux quatre coins de la maison. Personne n'avait réussi à l'épier pendant tout ce temps et ce fait renforça les soupçons de Bill quant à ses activités solitaires. Elle rejoignit Alice, qui avait troqué ses vêtements jaune poussin contre une tenue tout aussi extravagante, arborant des couleurs dont Laurasia ignorait l'existence jusqu'à présent. Elle avait également paré ses oreilles de pendeloques dorées et clinquantes. Elle rejoignit Laurasia devant l'entrée, enfila une veste rose sur laquelle étaient fixées des pierres scintillantes, et passa par la porte après avoir donné des instructions à l'adolescente nommée Lisa.

- Tu comptes sortir avec ça ? Lui demanda Laurasia, peu convaincue par l'aspect furtif de son accoutrement.

- Evidemment, comme ça, s'il y a une tuile, c'est moi qu'on remarquera, et personne ne sera surpris, répondit-elle, du tac au tac. Tu pourras profiter de la diversion pour déguerpir et continuer les recherches.