Gynécologue

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Samedi 6 Avril, Jour 51 - 7e semaine

J'y suis. Devant la porte de mon gynécologue. Putain de merde. Je n'ai jamais été aussi stressée d'avoir un rendez vous chez lui. Je pousse timidement la porte, et la secrétaire m'indique la salle d'attente sans m'accorder plus d'un regard. Je vais m'asseoir, au milieux de ces autres femmes qui attendent leur tour. Peut être... y en a-t-il d'autres qui sont dans la même situation que moi? Comment le dire? Je joue nerveusement avec la fermeture éclair de ma veste, et jette des regards nerveux autour de moi.

Je culpabilise. C'est plus fort que moi. J'en suis à 7 semaines de grossesse, si j'ai bien calculé. 7 semaines. Putain. J'espère seulement que je peux encore avorter en évitant l'opération. Mais je n'y connais tellement rien... et je suis tellement dans le flou! Ma gorge se serre encore. J'ai un peu la nausée, mais je ne pense pas vomir. Enfin... j'espère.

-Madame Anna Chari?

-Oui?

Le docteur Müller est un jeune homme dans la trentaine, plutôt bien foutu et dynamique. Il est sympa, et je l'apprécie plutôt - je ne l'ai pas non plus vu très régulièrement, ça ne fait pas deux ans que je fais mes études à Lyon.

-Alors, ma chère Anna! Commence-t-il quand nous sommes assis à son bureau. J'ai entendu que c'était un enfant? Félicitation!

-Oui... enfin... merci mais...

-Mais vous ne voulez pas le garder, c'est cela?

Je baisse les yeux, et fixe mes mains serrées sur mes cuisses. Mon "oui" est quasi inaudible, mais le docteur me rassure.

-Anna, ne vous inquiétez pas. Vous n'avez rien à vous reprocher. Je suis là pour vous accompagner durant le processus, et tout se passera bien. Et ne faites en aucun cas attention à tous ces slogans d'un autre âge qui voudraient vous faire culpabiliser de choisir comment mener votre vie!

Je lui fais un sourire timide. Il a toujours les mots pour me rassurer.

-Mais je suis assez surpris! Reprend-il. Il me semblait que vous m'aviez dit ne fréquenter que des femmes? Enfin... ça ne me regarde pas, certes.

-Ne vous inquiétez pas. C'était une femme oui. Une femme... trans.

-Oh! J'en ai une parmi mes clientes, une quarantenaire pleine de vie, surtout depuis son opération. Mais cette femme était elle sous traitement hormonal?

-Oui. Elle pensait ne pas être fertile.

-Aaah, d'où l'accident. En effet, ces hormones diminuent grandement la fertilité des spermatozoïdes, mais ce n'est pas un moyen de contraception pour autant. Par contre...

Il s'arrête, puis se reprend.

-Non, rien. Parlons plutôt des modalités pour votre avortement. Il existe deux manières d'avorter. Une par médicaments, et une chirurgicale. La médicamenteuse ne peut fonctionner qu'avant la septième semaine de retard des règles, donc nous sommes encore dans les temps. Elle nécessite la prise de deux médicaments à 24h d'intervalle, dont je vous exposerais le fonctionnement précis plus tard. La méthode chirurgicale, elle, se fait en clinique ou hopital, en anesthésie locale ou générale. Elle est plus lourde physiquement, mais également beaucoup plus accompagnée que la première.

-D'accord.

Je savais vaguement qu'il y avais deux méthodes. Je suis clairement plus motivée par les médicaments. Je n'ai pas vraiment envie de finir sur une table d'opération.

-Et... si je choisis les médicaments...

-Non, nous ne le ferons pas tout de suite. Mais il ne faudra pas trainer, car la date limite va approcher! Je vais d'abord vous expliquer le fonctionnement précis de cette méthode, puis il vous faudra signer votre consentement, et nous prendrons un autre rendez vous pour passer à l'action.

-D-D'accord.

Il me fixe un instant. Il doit sentir ma tension, car il me sourit, et je me détends aussitôt.

-Vous savez, Anna... il n'y a pas de raison d'avoir peur.

-Je sais, tout ça me semble juste... tellement... irréel.

-Oui, j'imagine. C'est ce que me disent la plupart des futures mères de votre âge qui viennent me voir. En avez vous parlé à... la mère?

Je déglutis.

-Non. Je n'ai... pas vraiment de contact avec elle.

-Je vois.

-Pourquoi?

-Oh, pour rien.

-Si, il y a quelque chose. Vous avez eu ce même regard tout à l'heure.

Le médecin détourne les yeux et se gratte la tête.

-C'est à dire que... cela dépasse le cadre professionnel.

-Je me fiche du cadre professionnel. Vous avez plus d'expérience que moi, et je suis perdue. Si vous voulez dire quelque chose, je vous en prie, dites le moi, docteur.

-Très bien... c'est simplement que... cette mère, que vous avez évoquée. Vous devriez la mettre au courant. Beaucoup de jeunes femmes trans ne réalisent que trop tard le poids qu'implique le fait de devenir stérile. Cet enfant que vous portez... pourrait être sa dernière chance d'avoir une descendance.

Face à mon regard interloqué, le médecin se reprend.

-Oh, je ne vous dit pas de le garder, mademoiselle Anna! Vous avez fait votre choix! Mais... lui en parler pourrait lui faire prendre conscience de cela. Et elle pourrais, je ne sais pas, stocker des spermatozoïdes ou ce genre de chose.

-Oh, ce n'est pas bête, en effet!

-Oui. Ma patiente transgenre n'a pas eu cette présence d'esprit, et le regrette depuis... bien longtemps, maintenant. C'est pour cela que je voulais vous demander cela. Mais cela dépasse très clairement mes prérogatives en tant que médecin.

-Ne vous inquiétez pas de cela, docteur.

Je me tais et fixe longuement la table. Cette nouvelle pièce du puzzle vient s'ajouter à toutes celles que je possédais déjà. Moi qui me sens tellement perdue, je commence à entrevoir... un chemin, une idée à suivre. Le reste de la visite se passe plus professionnellement. Le docteur Müller m'explique les effets du médicament, et me fait signer ma déclaration de consentement, avant de fixer le prochain rendez vous: celui où j'avalerais la pilule d'avortement.

-Merci beaucoup docteur.

-Oh mais de rien, et prenez soin de vous. Et en ce qui concerne...

-Ne vous inquiétez pas, docteur. Je vais lui parler. Je vais la retrouver, et discuter de tout ça avec elle.

Il me sourit, et me tend une main chaleureuse en ouvrant la porte.

-Vous êtes une femme courageuse, Anna.

Vraiment? Je n'en ai pourtant pas l'impression... je le remercie, et me dirige vers mon scooter. J'ignore ce qu'il va se passer, ou si je vais réussir à retrouver Mei et à lui parler.

Mais je vais essayer.

L'Accident [Inac]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant