Rencontre

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Samedi 18 mai, jour 93 - 14e semaine

Je n'ai plus eu de nouvelle de Joy depuis mercredi, jour où j'ai reçu le message de Mei. J'ai cependant tenu à la tenir au courant par message de tour ce qui se passait, de mes pensées, de mes doutes, et de mes sentiments bien réels pour elle. Elle n'a répondu à aucun, mais je sais qu'elle les a lus. Elle attend simplement le résultat de mon entrevue avec Mei pour savoir comment agir, à mon avis. La connaissant, quoique je choisisse, elle s'y conformera et fera comme si rien ne s'était passé. Je soupire à cette pensée.

J'ai eu beaucoup de mal à dormir ces derniers jours à cause de toutes ces pensées et émotions qui n'ont cessé de tourbillonner dans mon esprit, ainsi que des douleurs que me causent mon ventre et mes jambes. Le docteur a dit que c'était normal, et que je ne devais pas m'en inquiéter, mais cela ne fait rien pour améliorer mon humeur.

Toujours est il que je me dirige vers le petit restaurant tranquille dans lequel j'ai déjà rencontré Mei auparavant. L'idée de la revoir me met dans tous mes états, j'ai le coeur qui bat la chamade et la peau hérissée par un frisson d'appréhension. J'ai passé bien trop de temps à me préparer: maquillage, coiffure, choix de la tenue... il va bientôt falloir que j'aille me faire une garde robe d'habits pour femme enceinte, m'a prévenue le médecin, et je crois qu'il n'a pas tort. Mon ventre n'est pas encore assez rond pour qu'on puisse vraiment le remarquer quand je porte des habits, mais je pense que ça ne va pas durer longtemps.

Lorsque j'arrive au coin de la rue, je jette un coup d'oeil et aperçois Mei, assise à la terrasse du restaurant, à la même table que lors de notre précédente rencontre. Mon coeur se serre à sa vue. Ses cheveux courts en pétard sont toujours aussi attrayants... son air farouche, mélange résolument unique de féminité et de masculinité, n'a pas quitté son visage. Elle est habillée d'une chemise qu'elle garde ouverte, laissant apparent le débardeur rouge qu'elle porte dessous, et d'un long jean moulant. Je déglutis en remarquant que sa poitrine semble avoir grossie depuis la dernière fois que je l'ai vue - je n'y avais pas porté grande attention lors de notre entrevue, mais bien plus lors de la nuit où nous avons fait l'amour.

Je me reprends, et tente de me calmer. Puis, d'un pas résolu, je franchis le coin de la rue et me dirige vers elle d'un pas qui se veut nonchalant. En me voyant, son visage s'éclaire, et ma résolution faiblit. Bon dieu qu'elle est magnifique... ce n'est pas une beauté aussi éclatante et universelle que Joy. C'est une beauté unique, que je chéris à chaque fois que je la vois. C'est une beauté qui ne plairais peut être pas à tout le monde, contrairement à Joy. Mais c'est une beauté qui me touche jusqu'au plus profond de mon être.

Ma main vient se porter machinalement sur mon ventre légèrement arrondi.

-Anna! Ça fait si longtemps... s'exclame-t-elle. Et s'approchant de moi.

Elle esquive un mouvement pour m'embrasser puis, réalisant qu'elle ne sait pas vraiment si elle peut le faire, se reprend à mi chemin. Je n'y tiens plus. Je saisis son visage à deux main et plante mes lèvres sur les siennes. D'abord surprise, elle finit par se laisser faire. Ses mains glissent le long de mon dos pour m'attirer contre elle, et je me blottis au creux de ses bras en glissant ma langue dans sa bouche, les yeux fermés, profitant simplement de sa chaleur, de son odeur, de sa présence. Tant de sensations qui suffisent à me faire sentir bien, alors que mes yeux ne voient même pas... je comprends pourquoi Joy dit qu'on peut voir sans les yeux.

En pensant à Joy, je reviens à mes esprits et me sépare un peu abruptement de Mei. Cette dernière est rouge comme une tomate, et se dandine d'un pied sur l'autre.

-A...assied toi. Me dit-elle, alors qu'elle en fait de même.

J'en profite pour la regarder de plus près. Son maquillage est léger mais lui va à la perfection. Il ne peut cependant pas cacher les immenses cernes et l'air fatigué qu'elle arbore malgré elle.

-Les concours sont si durs que ça? Dis-je pour lancer la conversation.

-Ah... ne m'en parle pas. Soupire-t-elle. Un mois d'épreuves, c'est juste l'enfer. Enfin... je suppose que quand on fait prépa, il ne faut pas s'attendre à du bon temps. Et... et toi, comment ça se passe?

-Les cours se passent plutôt bien, on a eu d'autres partiels il y a peu, et je m'en suis pas trop mal sortie.

Je sais bien que ce n'est pas de cours qu'elle veut parler quand elle me demande comment ça se passe, mais je ne sais toujours pas quelle est sa réponse. Peut être que... lui dire que ce sont des jumeaux va lui faire peur. Je déglutis, et un petit silence s'installe, aucune de nous n'osant prendre la parole.

C'est finalement Mei qui parle la première.

-J'ai... beaucoup réfléchi. Au sujet de... de l'enfant. Parce qu'en ce qui concerne nous deux, je n'ai aucun doute. Tu reste la plus belle femme que j'ai rencontrée, et... et je le pensais déjà quand on était plus petites, mais ça n'a pas changé. Quant à l'enfant, eh bien... j'ai pensé que je suis très jeune pour en avoir, et que j'ai peur d'être considérée comme... père, au lieu de mère, puisque je suis trans.

-Pour moi, tu es une femme à part entière, Mei, sache le.

-Ça me réchauffe le coeur que tu me dise ça. Dit-elle en se grattant la tête. C'est surtout du regard des autres que j'ai peur. J'ai beau faire... la détachée, celle que ça n'atteint pas, tout ça me fait très peur.

-Mei... j'ai rencontré une personne... une amie très proche, qui m'a appris que le regard des autres n'existe que si tu y portes attention. La seule chose importante, c'est le regard de ceux qui comptent pour toi.

-C'est plein de sagesse. Rit-elle avec douceur. Cette amie doit vraiment être une personne exceptionnelle.

-Oui, elle... elle l'est. Dis-je, et l'image de Joy m'apparaît à l'esprit.

-Mais voilà, Anna, je veux te dire que... que j'aimerais élever cet enfant avec toi malgré toutes ces peurs qui me freinent et me terrifient. Si... si tu veux bien de moi.

Un sourire se dessine sur mes lèvres malgré moi, et une larme se forme au coin de mon oeil.

-Merci, Mei... Merci.

L'Accident [Inac]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant