Maison de campagne

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Samedi 22 juin, jour 128 - 19e semaine

Nous nous tenons au bord de la route. Dans notre dos, se trouve un grand portail me rappelant des myriades de souvenirs... notre ancien lycée. C'est ici que j'ai passé une grande partie de ma scolarité, et que j'ai rencontré Mei - bien qu'elle s'appelait encore Max à l'époque.

Je n'ai plus beaucoup de contacts avec mes amies du lycée... Camille, Robin, puis Auguste et Joy plus récemment, les ont remplacées très vite quand je suis arrivée à la fac. Mais pour Mei, ce n'est pas la même chose. Ses amis de lycée sont toujours très importants pour elle, et je peux le sentir à la façon dont elle sautille presque d'excitation à l'idée de les revoir, alors que nous attendons la voiture qui va nous emmener à la campagne avec eux. De mon côté, je suis un peu moins à l'aise... et plus stressée.

-Ne t'inquiète pas, tu verras ils sont tous très gentils! Me rassure constamment Mei.

Je lui en suis reconnaissante, mais tout ça est assez différent de rencontrer de parfaits inconnus... ce sont des gens que je connais, que j'ai eu dans ma classe, mais auxquels je n'ai quasiment jamais parlé ou, pire, d'anciens amis avec lesquels je me suis brouillée il y a longtemps... difficile de se sentir à l'aise dans ces conditions.

Une petite voiture s'arrête au bord du trottoir, et la fenêtre s'ouvre sur un de ces camarades que je ne connaissais que de vue, et dont j'ai complètement oublié le nom.

-Le taxi de ces demoiselles! Nous interpelle-t-il.

-Alex! S'exclame Mei en allant lui faire la bise. Ça fait un bout de temps.

-Yep, c'est sûr! Dépêchez vous de monter, je bloque le traffic là.

Nous montons à l'arrière de la voiture, et je me fige en m'asseyant sur le siège du milieu, en reconnaissant la personne assise à ma gauche.

-Oh, tiens, Anna... fait-elle d'une voix dont je n'arrive pas à déterminer si elle est amicale ou non. Ça fait un bail...

-S-Salut, Chloé...

Évidemment... Chloé, une de mes anciennes meilleures amies. Elle est d'ailleurs celle qui m'a accompagnée lorsque j'ai rejeté Mei, alors que nous n'étions encore qu'en troisième. Cependant, l'année suivante, une grosse dispute a mis fin à notre amitié, et j'avais oublié qu'elle faisait partie de ce groupe...

Le week end ne commence pas très bien, on dirait.

Nous récupérons une dernière personne en chemin, puis notre conducteur, Alex, prends la route pour nous mener jusqu'à la fameuse maison de campagne d'un des membres du groupe d'amis. Mei, Alexis et Jonathan, le dernier monté en voiture, discutent joyeusement de tout et de rien pendant que Chloé et moi restons silencieuses, en nous évitant du regard et en tentant de ne pas trop nous toucher malgré la petite taille de la voiture. L'atmosphère lourde qui règne entre nous ne s'estompe pas jusqu'à notre arrivée. Nous sommes perdus dans la campagne environnante de Lyon, dans une sorte de petit bengallow récemment rénové en pleine cambrousse. Il fait frais, mais c'est plutôt agréable et rafraichissant de quitter la chaleur de la ville. Alex et Jonathan vident le coffre de la voiture, empli principalement de bières et autres alcools, ainsi que de diluant. Deux autres voitures sont déjà garées sur place, et je ne réalise qu'à cet instant le monde qu'il va y avoir.

-Mei, il y a combien de personnes...

-On est une quinzaine, je crois. Dit elle après un instant de réflexion.

-C'est trop... gémis-je.

-T'inquiète paaaas... me rassure-t-elle. Tout le monde a hâte de te voir.

Mei m'amène doucement jusqu'à la porte de la maison et, dès que je la traverse, un flot de visages connus mais peu familiers nous accueille et nous félicite. D'abord prise de cours, je me laisse finalement peu à peu emporter par leur enthousiasme et leurs questions, sans pour autant lâcher la main de Mei à un seul instant. On me pose mille questions sur les bébés, sur la grossesse, sur l'avenir et sur notre rencontre, et je réponds comme je peux à la plupart des questions.

En à peine quelques minutes, je me sens intégrée à ce groupe si soudé. C'en est presque difficile à croire...

-Et où vous comptez aller, l'année prochaine? Demande quelqu'un.

-On sait pas encore. Avoue Mei. Ça va dépendre de mes résultats, mais ma cible privilégiée est Strasbourg.

-Ooh! Comme Alex. Commente un autre, et notre chauffeur acquiesce.

-Zavez intérêt à passer me dire bonjour de temps à autre! Ajoute ce dernier en nous faisant un clin d'oeil volontairement exagéré, qui me fait pouffer.

La soirée continue à avancer, et, peu à peu, la discussion laisse place au repas et à la boisson. Elle coule à flot, et la bande d'amis enchaîne les jeux à boire avec une énergie folle et une descente impressionnante. Mei finit elle même rapidement bien alcoolisée et vient se fourrer au creux de mon cou en somnolant et en me murmurant de "je t'aime". Je me sens sereine ici, malgré le fait que certains soient bien saoul. Je m'amuse beaucoup à jouer avec eux avec mon verre de jus de pomme, et à rire de leurs blagues. Mais vient un point de la soirée où j'ai besoin de sortir quelques instants pour prendre l'air.

Je fais quelques pas sur la terrasse en humant l'air frais et en observant le ciel rempli d'étoiles, quand une voix me fait sursauter.

-Je vois que t'as quand même fini avec elle, malgré que tu l'ai rejetée.

Chloé, évidemment. Nous nous sommes ignorées pendant toute la soirée, mais je suppose que ça ne pouvait pas durer. D'autant qu'elle semble bien avoir bu, elle aussi.

Je soupire.

-Oui, j'ai fini avec elle. Mais elle a bien changé, depuis la troisième.

-Ça c'est sûr! Et toi aussi...

Je ne sais pas comment prendre cette dernière remarque, et choisis donc de ne pas relever. Je tire une chaise en plastique et m'assois dessus, bientôt rejointe par Chloé. Nous contemplons le ciel côte à côte, en silence, perdues dans nos pensées respectives.

-Est-ce que tu te souviens... pourquoi on s'est disputées en seconde? Me demande soudain Chloé.

Je fouille dans ma mémoire... le souvenir de nos longues disputes étalées sur plusieurs semaines est encore très clair, mais je n'arrive pas à me rappeler de l'élément déclencheur de tout cela.

-Non... finis-je par avouer.

-Ah. Tant mieux, c'était vraiment un truc stupide. Rit-elle un peu amèrement. Je... suis triste qu'on se soit plus parlées depuis plus de quatre ans...

-Moi aussi... mais après tout ce qu'on s'est dit, je ne savais pas vraiment comment revenir. Dis-je.

-Je ne voulais pas vraiment te voir revenir... avoue-t-elle. Mais bon, on est des adultes, maintenant, plus des enfants. Je pense qu'on peut... oublier cette histoire, tu crois pas?

-Tu as sans doute raison... alors, oublions tout ça.

Chloé s'effondre dans sa chaise, comme soulagée d'un poids énorme, et cela me fait rire. Elle est bien plus honnête et directe une fois sous l'effet de l'alcool. Mais elle a bien raison sur un point: l'enfance est terminée. Nous entrons dans le monde des adultes, et je ne peux plus m'apitoyer, il me faut agir. Agir pour ces enfants que je porte en moi, agir pour ma compagne et mes amis.

Je ne dois pas être un fardeau. Je vais faire en sorte que cette aventure soit un voyage magnifique. Et pour cela, il y a des choses que je dois régler avant de partir.

L'Accident [Inac]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant