Rumeurs

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Vendredi 12 avril, jour 57 - 9e semaine

Je me réveille péniblement à la sonnerie de mon réveil et m'extirpe de mon lit, toute ankylosée, les jambes une nouvelle fois douloureuses. Je traine des pieds jusqu'à la cuisine, où je croise le visage tout fripé de fatigue de ma colloc.

-T'as du succès ces derniers temps, dis donc. Glisse-t-elle avec un bâillement en montrant de la tête la forme endormie sur le canapé.

-J'ai entendu ça. Grogne Joy en relevant la tête. Comment vous faites pour être aussi bruyantes aussi tôt le matin.

-Il est l'heure de se lever pour aller a la fac. Fais-je remarquer. On est vendredi, jte rappelle.

-Se lever pour aller en cours... aaarg ça me rappelle de mauvais souvenir du lycée, tout ça! Se lamente-t-elle.

Pourtant, Joy se lève rapidement et se dirige d'un pas assuré vers les toilettes. Je ne comprends toujours pas comment elle arrive à se repérer aussi facilement dans des endroits qu'elle connait peu.

-T'as cours ce matin, Diane? Dis-je à ma colocataire alors qu'elle trempe paresseusement ses lèvres dans son café.

-Nan, demain. Mais on se fait une journée en ville, du coup je me réveille tôt. Et toi, t'as bien pris ton rdv chez le gynéco ce week end?

-Oui, oui, tout est prévu, ne t'inquiète pas.

-Great.

Diane se renferme dans son habituel mutisme matinal, et je finis de me préparer. Au moment de partir, je réalise que Joy m'attend sur le pas de la porte.

-Tu vas...

-À la fac. Ça fait un moment que j'ai plus suivi de cours directement, ça me manque un peu. Avoue-t-elle.

-Mais... je t'y ai jamais vue de l'année.

-Tu m'a peut être pas remarquée.

J'ai envie de répondre que j'aurais eu du mal à ne pas la remarquer, mais je me retiens. Elle soupire.

-J'ai dû suivre trois cours, histoire que certains profs voient à quoi je ressemble, puis j'ai été assignée chez moi avec des cours à distance. Grogne-t-elle. Et dès que j'ai tenté de m'éclipser pour suivre les vrais cours, cet enfoiré de Vincent venait me faire chier. Il a rien d'autre à faire, sérieusement?

-Il est à la fac?

-Même pas! Il bosse déjà! Il a fait un CAP ou un bac pro ou je sais pas quoi là, et il trouve quand même le temps de me courir après. Pfeu! Jme demande qui est son employeur, mais il doit être vachement patient.

-Probablement, oui...

Je ne peux m'empêcher de penser que quiconque fréquente la jeune aveugle doit avoir besoin, lui aussi, d'une bonne dose de patience. Nous prenons les transports en commun et arrivons rapidement sur le campus. J'essaie de repérer Camille, la seule avec qui je partage un cours ce matin, mais en vain pour l'instant. Cependant, je remarque du coin de l'oeil quelques regards portés sur nous. Je déglutis.

La rumeur enfle. C'est sûr. Mais une part de moi espère que ces regards sont dirigés vers la beauté si étrange de Joy, et non pas sur ma personne. Mais ma compagne de marche détruit tous mes espoirs.

-Les gens parlent de toi. Affirme-t-elle sur un ton plat.

-Qu... ah. Je peux pas dire que je m'y attendais pas vu ce que j'ai trouvé dans ma boîte au lettre hier soir, mais c'est quand même désagréable.

-Bah! Au moins, tu les entends pas.

-Mais je les vois!

-Et alors? Crois moi, c'est bien pire d'en plus savoir ce qu'ils disent alors qu'ils se croient discrets. C'est un désavantage d'avoir l'ouïe fine.

-Que... disent-ils?

Joy lève en sourcil en tournant légèrement son visage vers moi.

-T'as quand même envie de savoir? T'es un peu mazo, comme meuf, non?

-Il faut que je sache précisément ce qu'on me reproche et ce que cette salope de Marion a pu lancer comme rumeur. Dis-je en serrant les poings.

Joy semble réfléchir un instant et s'apprête à répondre, avant de se taire.

-Quelqu'un te fonce dessus. Dit-elle de but en blanc.

L'instant d'après, une masse me heurte de plein fouet, accompagnée d'une voix guillerette.

-Annaaaaaaa chéééériiiiie! S'écrie Camille en me couvrant de papouilles. J'étais vraiment triste que tu sois partie avant la fin de la soirée, tu sais.

Joy s'est couvert les oreilles et il me semble l'avoir entendu grogner un "revoilà l'hystérique". Je rends son câlin à mon amie.

-Disons que j'avais peur de la colère de Salomé. Dis-je. Au passage, voici...

-Joy, oui, je sais. Sourit mon amie. Salomé a passé une bonne demi heure à engueuler le mec qu'elle a balancé sur la table basse, donc à peu près tous les convives connaissent la totalité de l'histoire.

-Génial! S'exclame la concernée. Plus besoin de me répéter une centième fois.

Ignorant sa remarque, Camille continue.

-Mais je crois que Marion a fait de gros dégâts. Tout le monde ne parle que de ça, de ta grossesse et du fait que tu l'aurais supposément balancée hors de ton appart du jour au lendemain pour te caser avec un mec.

-Quoi? Fais-je, ahurie. Mais c'est elle qui... alors là, c'est trop fort. Quelle... espèce de...

-Ouais, moi aussi ça m'a choquée. Vous avez été ensemble quoi... trois ans? Et après avoir disparu elle te fait un coup comme ça? Elle était vraiment comme ça à l'époque?

-Pas du tout!

Joy ricane.

-T'en as pas l'air si persuadée. Fait-elle remarquer.

-Comment ça?

-Ta voix est tellement partie dans les aigus que t'as frôlé les ultrasons. On dira ce qu'on veut, mais moi, j'assimile ça à un mensonge.

-Réponds franchement, Anna. Renchérit Camille. C'est toi qui la connait mieux que tout le monde.

-Je... pensais la connaître mieux que tout le monde. Dis-je. Elle est très jalouse, et elle voulait vraiment qu'on commence à se poser et à parler de mariage, mais je voulais pas aller aussi vite. On était en première année de fac, putain! Mais de penser que ça la ferait partir comme ça, et... pire encore, faire circuler ce genre de rumeurs sur moi... j'y aurais jamais cru.

Un silence accueille mes paroles. Puis, Camille reprend.

-On ne peut rien y faire de toute façon, pour l'instant. Tout ça finira bien par retomber, te laisse pas atteindre par ce genre de petites piques de lâche. Allez! Une super matinée nous attend!

-Youpi... fais-je avec un soupir.

L'Accident [Inac]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant