17. Amitié

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Le soir vers vingt-deux heures nous avons littéralement obligé Klara, avec les parents de Paolo, à rentrer avec moi se reposer. Celle-ci ayant limite campé à l'hôpital depuis son arrivée, elle à l'allure d'un zombie et ça me fait mal au coeur de la voir comme ça. Je sais combien il est dur de ne pas avoir l'homme qu'on aime à ses côtés. Mais le savoir entre la vie et la mort, par contre, ça je ne sais pas ce que c'est. Alors je vais la soutenir comme je peux, parfois en la rassurant, d'autres fois en l'écoutant, en lui parlant ou en lui prenant la main et en étant là, tout simplement.

En roulant vers notre chambre d'hôtel, il est déjà très tard. Nous nous arrêtons en chemin pour acheter des fajitas à un vendeur ambulant. Avec ceci nous optons pour une soupe épicée mexicaine et nous rentrons.

Assises en tailleur sur notre grand lit, nous savourons notre repas.
Klara pioche dans son fajitas puis dans sa soupe en ingurgitant le tout à une vitesse incroyable. On dirait qu'elle n'a pas vu de nourriture depuis des jours et qu'elle la découvre, tant elle est concentrée sur les aliments posés sur le petit plateau devant elle.

- Tu n'a pas mangé depuis quand?
Je crois que c'est la première fois de ma vie que je lui pose la question sérieusement, en m'inquiétant.

Là, je la vois réfléchir. Mais vraiment. Elle réfléchit!

- Je ne sais pas...

- À midi, tu as mangé?

- Bah, euh... non.
Elle me dit ça comme si c'était une évidence.

- Bon, ok. Hier, t'as mangé quoi?

A ma question elle fronce les sourcils en réfléchissant quelques secondes puis plie ses bras, les mains posées sur ses hanches.

- J'ai oublié de manger... En fait, je n'y ai pas du tout pensé.
J'ai grignoté quelques fois ces derniers jours car quand je sens que ma tête tourne et que le creux dans mon ventre me gêne, il faut que je mange.

Je n'aime pas ce discours. Oublier de manger, c'est un signe de dépression ou en tout cas, d'état de mal être profond. Faudrait pas que Klara se perde elle même dans sa peine pour Paolo.
Je décide donc de tenir ma meilleure amie à l'œil.

- Écoutes moi bien Klara. Premièrement, tu vas penser à ne pas oublier de manger. Pas très français, mais on se comprends hein. Je dis en la fixant dans les yeux.
Secundo, Paolo ne voudrait pas te voir comme ça. Triste, c'est normal. Mais te laisser aller toi même, non. On t'aime pour ce que tu es, notre petit rayon de soleil.
Troisièmement, je comprends et compatis à ta peine. Je ne te reproche ni d'être triste, ni d'être absorbée par la situation, tout ça est normal. Je t'accompagnerais dans ce chemin, main dans la main, sans jamais je te le promets, ne te la lâcher. Je lui serre la main entre les miennes. Et saches que je serai toujours là pour toi.

Elle fond en larmes dans mes bras et je lui caresse les cheveux, silencieuse, en la laissant se vider de sa peine. Je suis là, juste présente et c'est ce qu'il lui faut, de la présence et de l'amour, pas de grandes paroles. Juste du soutien.
Elle finit par s'endormir entre deux sanglots, alors je me détache d'elle délicatement et lui passe la couverture au dessus des épaules, je l'enjambe pour éteindre la lampe de chevet, puis, épuisée, je m'endors à mon tour.

Je me réveille et Klara dort encore, je ferme délicatement les stores afin que la chambre soit dans la pénombre. Je ne sais pas depuis combien de temps elle n'a pas dormi alors j'espère qu'elle va récupérer quelques heures de sommeil.
Je me prépare silencieusement et je sors prendre mon petit-déjeuner sur la terrasse en appelant Marisa pour venir aux nouvelles
- Oui ma jolie. Rien de neuf, le médecin est passé, d'ici demain ou après demain ils supprimeront les injections concernant le coma artificiel, en espérant qu'il se réveille par la suite. Enfin, rapidement, je veux dire.

Ces mots me font frissonner. Bien-sûr, qu'il va se réveiller. Parce qu'il ne mérite pas de passer ses journées sur un lit d'hôpital, inconscient. Parce que ma meilleure amie est follement amoureuse de lui et qu'elle ne le supporterait pas. Parce que ce ne serait pas juste, tout simplement.

- D'accord, nous passerons en début d'après midi je pense, j'ai fait exprès de laisser Klara dormir, elle m'inquiète.

- Tu as bien fait, elle n'est rentrée que pour se laver et deux fois pour dormir depuis son arrivée. J'ai essayé de la raisonner mais impossible de lui faire entendre raison. Elle est abattue par ce qu'il arrive à Paolo.

- Je vais m'occuper d'elle, t'en fais pas. Je lui réponds d'un ton rassurant.

Après avoir raccroché je fais un tour sur la plage et quelques 800 mètres plus loin je trouve une petite paillote où l'on peut déjeuner sur des petits coussins colorés et des tables basses en bois flotté, à même le sable. De la musique latino fait fond sonore et j'adore l'ambiance. C'est absolument génial. Je décide d'amener Klara manger ici à midi, c'est tellement beau et agréable qu'elle appréciera à coup sûr et ça la détendra un peu.

Je refais donc le chemin en sens inverse sans me presser, je veux la laisser dormir le maximum possible.
J'enlève mes espadrilles et je fais rentrer mes orteils dans le sable en les recroquevillant.
Sensation exquise. Je marche ensuite au bord de l'eau imprégnant le sable mouillé de mes pas jusqu'à l'hôtel.

Quand j'arrive j'essaie de ne faire aucun bruit en passant la carte dans l'ouvre porte mais Klara ouvre avant moi.

- T'es folle? Mais pourquoi tu m'as laissée dormir? Il est presque midi, tu te rends compte depuis combien de temps je ne suis plus au chevet de Paolo? Elle me lance, paniquée.
Excuses moi, je suis désolée. Mais je ne veux pas qu'il soit seul. Je veux être près de lui à chaque seconde.
Elle me dit en baissant les yeux, gênée d'avoir été froide.

- Il faut que tu sois là pour lui bien-sûr chérie, mais pour être là, il faut que tu sois toi même en bon état. Donnes lui de la force, pas de la détresse. Sois forte Klara.
Je lui dis d'un ton rassurant.

Après un bon quart d'heure de négociation je traîne Klara sur la plage pour l'emmener manger. Quand elle aperçoit ma trouvaille, elle est aussi émerveillée que moi par l'endroit. Nous nous installons face à face sur un pouf dans le sable à une table de deux sous un parasol en paille.

Nous optons pour des gambas flambées en persillade accompagnées de calamars et de seiches encore frais du matin.
C'est tellement bon de déjeuner dans le sable, avec cette ambiance latino et ce temps magnifique pour couronner le tout.
Même Klara s'abandonne à prendre du bon temps.
Après deux glaces englouties, nous prenons directement le trajet pour l'hôpital.
Arrivées sur place, je me laisse guider par Klara qui avance devant moi à toute vitesse.
Une fois dans le service en question nous retrouvons Marisa que nous saluons.
Je la prends dans mes bras et lui fais plein de petits bisous.

Au bout d'un moment un couple d'une cinquantaine d'année sort en enlevant ses chaussons et blouses stériles et se dirige vers nous. Je comprends alors qu'il s'agit des parents de Paolo.
Ils nous embrassent et la maman de Paolo serre Klara dans ses bras, elles s'adorent toutes les deux.
Ensuite, ma meilleure amie entre alors à son tour pour voir son amoureux.
Seule avec Marisa et les beaux parents de mon amie je décide d'aller chercher du café pour tout le monde. À mon retour, j'essaie de marcher délicatement et de tenir au mieux les quatre gobelets en carton dans mes mains de peur de tout faire tomber. Je suis concentrée sur mes pieds quand j'entends hurler:
- S'il vous plait laissez moi rentrer je vous en supplie!

Je reconnais cette voix. Je lève les yeux et quand je vois Klara entourée de médecins qui la tiennent et de Marisa ainsi que ses beaux parents qui tentent de la calmer, je fais tomber les gobelets en un fracas, le liquide chaud formant une flaque au sol.


L'effet MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant