19. Toi

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Le soir, un peu saoulée de cet amour fantôme après lequel je cours, je me couche rapidement. Coup de chance, je m'endors facilement.

Au petit matin le soleil tape sur mon visage et je m'extirpe de mon sommeil.
Klara est déjà levée et prête.
Nous déjeunons dans le calme, à vrai dire je suis tout autant blasée que la veille.
Clairement, j'ai l'impression de stagner et ça à le don de me décourager de tout.
Je file à la douche et en sortant de la salle de bains, je trouve Klara avec sa veste et son sac sur l'épaule prête à partir. Elle donne l'impression de m'attendre, assise à la table à manger ronde.
- Je voulais te voir avant de partir à l'hôpital. Je vois bien que tu n'es pas dans ton assiette, qu'est ce qu'il se passe?

- Rien d'important, enfin si, mais rien de neuf. T'en fais pas. On en parlera plus tard.

- T'as pas envie d'en parler?

- Pas maintenant, je suis désolée... je lui avoue avec un sourire triste.

- Appelles moi plus tard ok, on ira faire un tour étant donné que tu rentres ce soir.
Elle marque une légère pause, se penche vers moi, m'attrape le bout du nez et le secoue en me disant malicieusement
Et si t'as envie de parler tout simplement, tu m'appelles aussi!

On se fait un bisou et puis elle s'en va.
Moi, j'ai décidé de consacrer ma dernière journée ici à essayer de retrouver mon amour perdu. Comme si, par magie, quelque chose allait se passer juste le jour de mon départ...
À chaque fois que j'ai été vers Santa Cruz, je n'ai rien trouvé de neuf.
Mais où le chercher? Aucune idée.
Je réfléchis à ce que je peux faire mais au bout de quinze minutes de recherche acharnée dans ma tête, j'en suis toujours au même point.

Je suis là à me dire que je ne le reverrai jamais, quand je repense à la suite des évènements, après les premières fois où je l'ai croisé, tantôt chez moi, puis devant ma porte, et pour finir, de l'autre côté du barrio.

* Flashback *

Aujourd'hui papa est sous un bon jour. Il s'est levé tôt, un parfum de café embaume la pièce et il m'a dit bonjour sans souffler.
Je prie pour que son humeur reste constante et que son regard ne s'attarde par sur l'un des très nombreux cadres qu'il a accrochés partout dans la maison. Derrière plusieurs objectifs, toujours la même personne. Ma mère.
J'attends un peu, et je vais lui parler de la visite de Fernando. Il le faut.
La journée se passe sans débordements, il est enfermé dans sa chambre. En fin d'après-midi quand je le croise dans la cuisine, je décide de me lancer.

- Papa, mh.. je dis d'une voix rauque, en me raclant la gorge.
Fernando..

- Quoi Fernando? Il se retourne vers moi, haussant un sourcil et me jettant un regard qui me demande la suite, et vite.

- I..Il est passé l'autre jour mais. Je suis interrompue par quatre coups à la porte.

Mon père se lève aux aguets, et il me chuchote :

- Quand, avec qui, et il s'est passé quoi?! Vite!

Les coups amplifient.

- Il a tambouriné à la porte en croyant que t'étais là, il ne voulait pas laisser tomber... je réponds en essayant d'esquiver les deux autres questions.

- John!!!! Une voix nous coupe.

- Avec qui il était je t'ai demandé?! Commence à crier mon père.

Et là, un boum conséquent fait que mon père se rue sur la porte et l'ouvre.

- Avec lui...je dis inaudiblement, complètement immobile devant celui qui remplit mes pensées depuis plusieurs semaines.

Ils sont quatre, Fernando, deux hommes de la même tranche d'âge que lui et mon père, et le mystérieux inconnu.

Je suis assise dans les escaliers, la tête contre la rambarde, et j'ai une petite vue sur le salon. Discrètement, j'essaie d'écouter la conversation. Quand je me sens regardée. Instinctivement, je tourne la tête en sa direction, et il me fixe.
Comme à chaque fois, je n'arrive pas à lire dans son regard. Mon ventre se noue, ne supportant plus le défi visuel qui m'a opposé à celui-ci pendant quelques longues secondes. Je remonte alors dans ma chambre et j'attends que mon père règle ses comptes avec les spécimens de son espèce.
Comment à t'ont pu en arriver là?
Au bout d'une demi heue je décide de passer à la cuisine et je constate que d'autres hommes se sont joints à la table. Ils sont une dizaine maintenant.
Ça discute business, ça boit et ça fume. Je remonte et décide d'aller aux toilettes. En sortant, un homme d'une cinquantaine d'années se trouve adossé au mur, les bras croisés.

- Bah alors, poupée, on se balade seule dans les couloirs?

Je fais un pas en arrière mais je me retrouve bloquée contre la porte. Il s'approche de moi, je le pousse mais il en profite pour m'attraper les poignets et me tirer vers lui. À ce moment, je vois un poing s'écraser sur son visage et quand il tombe au sol, je lève la tête en manquant de m'évanouir, puis je le vois. Ces yeux...

Il me prend la main et sans un mot il m'emmène. Je ne sais pas où, mais je le suis...
Je ne le sais pas encore, mais je vais adorer cet endroit.

Fin du flashback

J'adore tellement cet endroit que j'y ai accroché un mot il y a presque deux mois.
En repensant à notre première escapade ensemble, j'ai repensé aussi à la «mujer de gatos» , femme des chats.
C'est une femme qui habitait dans le barrio et qui donnait à manger aux chats errants, les soignait, s'occupait deux... elle passait une bonne partie de ses journées sur la placette en bas des bâtiments, attrapant au vol n'importe qui étant susceptible d'échanger quelques mots avec elle.
Elle avait toujours de croustillantes infos ou fausses infos à partager. Elle était adorable et semblait avoir traversé des milliers de vies même s'il faut se l'avouer, elle était particulière. Certains disaient qu'elle avait un grain, d'autres qu'elle noyait son chagrin dans son étrangeté.
Toutefois, elle devait être là, en mai 2010. Elle pourrait m'apprendre certaines choses.
À quatre conditions.
La première, qu'elle soit encore en vie.
La deuxième, qu'elle vive toujours à Santa Cruz.
La troisième, qu'il lui reste toute sa tête.
La quatrième, que j'arrive à pénétrer dans Santa Cruz.

Sans réfléchir, je me lève et je descends sur le parking de l'hôtel.

Quand j'arrive dans la périphérie je décide de faire un tour dans le quartier en voiture d'abord. En éclairage.
Il est à peu près onze heure et les allées sont vides. Mon père, ses potes, et les hommes de leur genre étant sûrement encore endormis.
Je me gare sur le parking de la petite épicerie, à l'opposé de mon ancien immeuble, du côté de la placette.
Ensuite, je continue mon chemin à pieds, et arrivée au rond central, je constate des petites gamelles où traînent quelques croquettes et restes de pâtée. Bon, elle est encore là. Ça ne peut être qu'elle.
À mes risques et périls, cette fois j'y pense mais je suis bien trop emportée par mon envie d'avancer, je m'assois sur un banc et j'attends. Et c'est long.

L'effet MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant