01 | AMBROSE

184 19 25
                                    

Pdv d'Ambrose

« 𝐼'𝓂 𝓈𝑜 𝓈𝒸𝒶𝓇𝑒𝒹 𝓉𝑜 𝒹𝒾𝑒.
𝐿𝑒𝓉'𝓈 𝓈𝓉𝒶𝓇𝓉 𝒶 𝓅𝓊𝓃𝓀 𝒷𝒶𝓃𝒹. »

Je pose doucement mon sac par terre et m'assois sur l'une des nombreuses chaises. Avec ma meilleure amie, Magdalena, nous avons formé cette année un club de musique dans notre lycée, composé d'une petite bande de potes qui forme le groupe « osmosis » et de quelques élèves qui viennent prendre des cours de temps en temps.
Comme nous préparons un concert inter-lycées pour la fin de l'année, le proviseur a demandé à l'agent d'entretien de nous laisser entrer après l'heure de fermeture afin que nous puissions bénéficier de la salle de musique pour nos répétitions.

Nous avons donc Russ à la batterie, Ilyâs au drum pads, Kyrel à la basse et à la guitare, moi au piano et Magdalena au micro.

Enfin, plutôt devrais-je dire, une bande de potes et moi. Ma seule véritable amie, c'est Magda. Moi je suis invisible, une ombre discrète et à peine mouvante qu'on ne remarque pas.

Un chewing-gum séché collé dans le recoin le plus sombre du bahut serait plus remarquable que ma petite personne.

Je divague, j'ai l'esprit en pagaille, je m'éparpille en permanence, toujours dans ma bulle. Dissociation.

Ça me fait sourire de remarquer à quel point personne ne ressemble à ce qu'il joue.

Russ est le calme incarné, presque austère, et pourtant il joue comme un forcené des rythmes à t'arrêter le cœur net, secouant sa tête dans tout les sens, cheveux en désordre quatre-vingt-dix pour-cent du temps.

Ilyâs est le premier de tout le lycée, meilleur élève ever, un véritable petit génie passionné de littérature étrangère (il parle d'ailleurs déjà six langues), de chemises boutonnées jusqu'à l'étranglement, de cheveux plaqués au gel et... de musique électronique accompagnée de jeux de lumière qui te refilent des crises d'épilepsies.

Après, il y'a aussi Kyrel, c'est le sportif de la bande, le coureur de jupon, un vrai cliché ambulant. Il a des cheveux teints en vert mousse ainsi qu'une veste de la même couleur, à l'effigie de son équipe de base-ball, les Green Hawks et un septum en argent dans le nez. Au premier abord il semble presque simplet et pourtant il transmet tellement de choses dans ses morceaux que quoi qu'il joue, tu sens ton cœur se presser dans ta poitrine. Il a cette fibre mélancolique.

Ensuite, ma belle Magdalena, une voix puissante et clair, qui a tendance se fêler. Élément essentiel du groupe, elle est agoraphobe et chante les yeux bandés d'un bandana jaune poussin (son porte bonheur, il est toujours accroché sur la lanière de son sac à dos).

Puis moi, au piano. Je me retrouve souvent à jouer les mélodies principales de chaque morceau, je suis au centre de l'attention alors que je donnerai tout pour me cacher six pieds sous terre, ne jouer que dans mon garage, seul avec moi-même.

C'est ma meilleure amie qui m'a embrigadé, bien malgré moi, dans son idée de créer un groupe et un club... et ce que Magdalena veut, Dieu veut.

— Salut, mon gars ! s'exclame soudain quelqu'un d'une voix tonitruante en entrant comme un bulldozer dans la salle de musique.

Je sursaute en retenant de justesse un cri de surprise et manque de tomber de la chaise branlante sur laquelle je suis assis. Me retournant d'un mouvement un peu raide, je rend une poigne de main ferme à Kyrel pour maintenir les apparences, mes joues brûlantes.

— Tu fais quoi ? me demande-t-il en regardant par dessus mon épaule.

Je m'empresse de cacher la feuille sur laquelle je griffonnais quelques rimes qui me passaient par la tête.

— Rien, soufflé-je.

Je fourre la feuille froissée dans mon carnet qui tombe en ruine et range ce dernier dans la poche avant de mon sac à dos.

— Pourquoi tant de secrets, soupire-t-il au moment où les autres membres du groupe s'engouffrent à l'intérieur.

Je salut de la main tout le monde. Et Magdalena s'installe au micro, chaque membre du groupe prend sa place.

Je compte jusqu'à trois et commence la mélodie, douce, mélancolique, chacun commence à jouer sa partie, s'ajoutant aux autre au fur et à mesure.
Puis vient Magdalena et sa voix si particulière :

Little ghost, you're listening...

Puis, au milieu de la chanson, un accord dissonant brise l'harmonie et mon amie pousse un petit cri excédé.

— Kyrel ! Encore une fois, tu n'as pas appris tes mesures ! C'est pas possible, on ne peut vraiment pas compter sur toi... Bordel, le concert est dans un mois !

— C'est bon, je suis désolé. N'en fait pas tout un plat, on a le temps.

Au bord de la syncope, elle lève les bras au ciel avant de se tourner vers Kyrel.

— Apprend tes partitions ou tu es viré.

J'ai rarement vue ma meilleure amie aussi en colère, son visage est si rouge que ça en devient absurde. Elle prend la musique très à cœur.

— Quoi ? Tu te fiche de moi, pas vrai ? fait-il visiblement outré.

Magdalena ne répond pas et sort en claquant la porte, aussitôt poursuivit par le jeune homme qui crit :

— Tu vas quand même pas me laisser rentrer en bus !

Mais elle est déjà loin.

— Connasse, grommelle-t-il.

Il ramasse son sac, enfile sa veste en jean au dos de laquelle est grossièrement écrit GH en vert et sort à son tour.

— Bon, et bien ça aura été rapide, soupire Russ en remettant ses bâtons dans sa sacoche.

Peu bouleversé d'être venu pour rien à la répétition, je hausse les épaules et me dirige à grand pas vers le parking, j'espère qu'il n'est pas déjà partit.

Je trottine entre les places et l'aperçoit soudain qui se dirige vers l'arrêt de bus.

— Kyrel ! l'appelé-je. Kyrel !

Il se tourne vers moi et attend que je le rejoigne.

— Je peux te déposer et je pourrais aussi... t'aider avec le morceau si tu veux.

— Sérieux ?

— Ouais.

— Merci, mec.

J'opine et fais quelques pas avant de me stopper net.

— C'est... pas du bon côté, bredouillé-je en partant dans l'autre sens devant son air amusé.

« Tu es un imbecile, Ambrose, pensé-je en me giflant mentalement. Il va te prendre pour un idiot. »

Bientôt, nous embarquons dans mon vieux pickup. Il m'indique les routes à suivre et la radio crachote en fond sonore. Nous roulons sous la voûte, la lune éclairant le macadam défoncé de la route.

Pretty boysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant