18. Un monde à refaire

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Je ne pleure pas. Pas une goutte. Pas une humidification de l'oeil. Rien. Je me sens complètement vide de l'intérieur. Je n'ai plus rien. Plus rien à faire sortir, plus rien à donner, plus rien à ressentir. Alors évidemment, quand la nouvelle est tombée, je n'ai pas sourcillé. Je me suis contenté d'un hochement de tête, tout bête, le genre qu'on ne devrait même pas avoir à ce moment-là. Je me suis contenté d'approuver ce fait, car de toute façon, je ne peux rien faire d'autre, n'est-ce pas ?

À vrai dire, je suis même reparti. J'ai détourné les talons et j'ai quitté le bureau du médecin nous ayant annoncé dix minutes plus tôt que ma grand-mère venait de quitter ce monde.

J'ai passé la porte du bureau, je me suis arrêté au beau milieu d'un couloir et je me suis laissé glissé contre le mur. Je me suis laissé tomber comme le monde me tombe dessus. Je me suis laissé tomber, à bout de tout ça.

J'en ai marre, si marre. Je suis épuisé. À bout. J'ai l'impression d'être dans un gouffre qui ne fait que s'enfoncer encore et toujours plus bas, m'entraînant avec lui. Je n'en peux plus. Je n'en peux plus de vivre. À quoi bon si c'est pour voir chaque personne que j'ai aimée, partir ainsi ? Vont-ils tous me laisser derrière ? Vont-ils tous m'abandonner comme il l'a fait ?

- Ce n'est qu'une fois à terre, que l'on apprend à mieux se relever.

Je connais cette voix. Non, je la reconnais plutôt. J'entends même les roues du fauteuil couinant et s'approchant. Si je n'étais pas aussi mou du genou, je me serais probablement relevé pour lui en mettre une. Je ne sais pas pourquoi, ni d'où ça me vient, mais j'ai cette rage grandissante pour ce type. Je ne peux même pas l'expliquer. J'en veux à Michael comme j'en veux au monde entier. Je suis en colère et je ne sais pas quoi faire avec, ni même comment la rediriger.

- Qu'est-ce que tu veux ? T'as pas quelqu'un d'autre à embêter ? Fous moi la paix à la fin.

- Je sais à quoi tu penses en ce moment Gabriel et crois-moi, ce n'est pas la solution.

- Qu'est-ce que t'en sais ? T'es pas Dieu, tu ne sais pas ce que j'ai dans la tête et quand bien même tu le saurais, tu sais quoi ? Je t'emmerde. Depuis le début tu apparais ici et là comme un diable sortie de sa boîte, je ne sais pas pourquoi tu t'accroches à moi, ni même ce que t'attends de moi, mais c'est pas un putain de jeu !

- Je compatis, simplement. Tout ce qui t'es arrivé et tout ce qui t'arrivera encore...ça me fait de la peine.

- Bah va pleurer ailleurs, je n'ai pas besoin de tes larmes, j'ai assez versé les miennes.

Ce n'est pas contre toi, crois-moi. Ce n'est vraiment pas contre toi, c'est juste que je n'en peux plus. As-tu déjà connu ça Michael ? Ce sentiment d'être au bout, d'avoir tout donné et qu'au final te rendre compte que rien de ce que tu as fait n'a été suffisant. Tes efforts, tes sentiments...Tout cela n'a servi à rien.

- Je vis en plein cauchemar. Ce n'est pas possible autrement....

- Souhaites-tu t'en réveiller ?

- Et tu vas faire comment, hein ? Me sortir un lapin de ton sac et dire "Abracadabra" ?!

- Possible. Si faire un tour de magie permet de remettre un sourire sur ton visage, alors je suis prêt à le faire.

- Je n'ai même pas envie de sourire. J'ai juste envie qu'on me laisse là au milieu de ce fichu couloir. Je veux qu'on me laisse et qu'on m'oublie.

- Malheureusement, ce n'est pas possible. Les gens tiennent beaucoup trop à toi pour te laisser ainsi. Personne ne te laissera dans ton coin Gabriel. Jamais.

- Ceux qui m'aimaient sont morts. Ma grand-mère...Mon copain.

- Mais tu as encore ta mère et ton amie, non ? Tu n'es pas seul.

- Dis-moi Michael, as-tu déjà été amoureux ? Tellement amoureux que cette personne composait ton monde. Tellement amoureux que si cette personne venait à disparaître, tu ne saurais plus comment faire ? J'ai été amoureux comme ça, tu vois ? Ce fut court, mais si intense que j'ai l'impression de ne pas lui avoir assez dit que je l'aimais.

Ce que je regrette. J'aurai dû lui dire. Tout le temps. Tous les jours. Quand on se réveille le matin, quand on se prenait dans les bras, quand on faisait l'amour, quand on se couchait l'un contre l'autre. J'aurai dû lui dire. Tout le temps. Lui rappeler constamment à quel point il était important pour moi.

Oui, j'aurais dû lui dire.

- Je ne sais pas quelle genre de torture divine est-ce là, mais je n'en peux plus. Moi, j'abandonne.

Je baisse les bras.

- J'ai qu'une envie : rentrer chez moi. Un chez-moi où il serait là, à m'attendre. Un chez-moi où il me tiendrait la main. Tu sais, des fois je psychote tellement, que j'ai l'impression d'avoir constamment la main tenue par quelqu'un. Constamment. Je deviens fou une fois la nuit tombée. J'imagine des choses. Je sens des choses. J'entends des voix. Je pète véritablement un câble.

- C'est vrai que ce n'est pas simple de rentrer chez soi. Ça demande une aventure. Peu importe la nature de cette dernière d'ailleurs, ça demande d'avoir vécu quelque chose et d'en ressortir changé.

- Est-ce que j'ai changé ? Peut-être. Sûrement. Mais ça, c'était grâce à lui et à son influence et maintenant ? Que vais-je devenir ?

- T'as remarqué que depuis le début de notre conversation, tu n'as pas dit son prénom une seule fois ?

Pourquoi le dire ? Je n'en ai pas envie. Chaque lettre, chaque syllabe à prononcer et entendre est une aiguille que l'on m'enfonce dans le coeur. Je n'ai pas envie de me torturer plus longtemps. Je n'en ai plus envie.

- Tu devrais dire son nom...de temps en temps...

- À quoi ça servirait ? Je l'appelle tous les soirs, je crie son nom dans mon sommeil agité et jamais je n'ai de réponses. Il ne me répondra pas. Il ne me répondra plus.

- C'est le devoir des vivants Gabriel. On a le devoir de porter la mémoire des morts. Même si c'est douloureux, même si ça nous écrase le cœur, c'est notre devoir. On a connu ces gens et tandis que d'autres les oublieront, toi, tu peux t'en souvenir. Tu DOIS te souvenir de lui.

Ce n'est pas un honneur. Pourquoi c'est à nous de nous infliger ça ? On ne l'a pas demandé à devoir porter ce poids sur nos frêles épaules. On n'a pas demandé à devoir se souvenir de ceux qui sont partis trop tôt ou bien avant nous. Je n'ai pas demandé à Basile de me faire ça. Ni même à ma grand-mère. Avec le temps, j'ai petit à petit oublié la voix et le rire de mon père, est-ce ça qui m'attend pour Basile ? Est-ce qu'il est voué à ne devenir qu'une image dans ma tête ? Une silhouette sur une photographie ? Je refuse.

- Ça aurait dû être moi...

- Hé ne dit pas ça !

- Ça aurait dû être moi. Si ce foutu frein ne s'était pas bloqué, si je n'étais pas parti à fond de caisse dans ce fichu fauteuil...Si....

- Avec des "si" on pourrait refaire le monde Gabriel.

- Alors qu'on le refasse car mon monde s'est effondré. Un monde sans Basile ne mérite pas d'être vécu.

Je suis épuisé. Moralement. Psychologiquement. Je suis épuisé. Mort de l'intérieur.

- Alors, réveille-toi Gabriel. Réveille-toi.

Voyage au centre de ton cœur (BxB) - Tome 2 (PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant