Il y a de ces moments dans la vie que je n'aime pas. Que je déteste même. Comme un peu tout le monde. Il y a de ces moments dans la vie où, même en état préparé, on se rends compte qu'on ne l'a jamais réellement été. Cela fait des mois que j'essaye de me dire, non, de me convaincre que ma grand-mère ne mérite pas de finir ses jours dans cette chambre et qu'elle serait bien mieux ailleurs, ailleurs dans un autre monde. Des mois que je me répète que c'est "l'oeuvre de la vie" et qu'on finit tous un jour par mourir. Personne n'est éternel, c'est juste que certains partent beaucoup trop tôt et d'autres...Trop subitement. Il n'y a pas de mort "juste". Il n'y a rien qui puisse justifier le départ d'une personne.
Mais suis-je vraiment le mieux placé pour en parler ?
Qu'ai-je fait pour elle ? Que lui ai-je apporté ? Je n'ai même pas été présent. Je n'ai rien fait ou plutôt, je n'ai rien pu faire. Je ne peux que m'asseoir là, sur une chaise, en regardant son corps allongé en face de moi. Je ne peux que prendre sa main dans la mienne en la caressant du bout de mes doigts. Je ne peux que sentir les larmes me monter au nez, me nouant la gorge alors que j'essaye de retenir tout ça.
Je sais qu'elle va mourir. Bientôt. Je le sais et pourtant...
- Grand-mère, je ne sais pas si tu peux m'entendre, mais j'aimerais te dire un truc avant que tu partes parce que tu vois, je voudrais que tu t'en ailles l'esprit tranquille.
J'ai tellement de choses à te dire à vrai dire. Je veux te parler de Basile et essentiellement de Basile, mais je veux aussi te parler de nos plans d'avenirs, de la boutique, de Cléo et Cléa, du village. Je veux te parler de tous ces gens qui viennent te voir aussi souvent que possible et qui laissent trois tonnes de bouquets de fleurs dans ta chambre. Les sens-tu d'ailleurs ? Il y a constamment cette odeur qui plane ici et là. Ça me rappelle ta boutique. Ça me rappelle mon enfance et les quelques jours et semaines passés chez toi. À ce moment-là, pour être honnête, j'aurai tout donné pour ne pas revenir dans ce trou à rat. Il n'y avait rien à faire et je ne pouvais même pas partir en exploration, à l'aventure, maman me l'interdisait et papa me grondait. Je me souviens un peu de lui, tu sais ? Vaguement. Des flashs parfois. Dis-moi, tu deviendras un "flash" toi aussi, hein ? Un jour viendra où je ne sais pas si je serais capable, par moi-même, de me rappeler convenablement de ton visage. De ta voix. Je n'ai pas envie d'oublier tout ça. Je n'ai pas envie de t'oublier toi. Tu m'as laissé Basile entre les bras et même s'il est entre de bonnes mains, j'aurai aimé que tu nous voies. Que tu nous vois grandir, nous épanouir, nous aimer. Je ne sais pas si c'est un coup de maître que tu as fait en le prenant avec toi, mais c'est vraiment un homme remarquable, et ce, à bien des égards. Quel chanceux je suis de pouvoir aimer quelqu'un comme lui et surtout d'être aimé en retour.
Oui, je le suis.
- Il y a quelques mois, tu m'as dit que tu veillerais sur celui qui a le cœur le plus fragile et j'espère que tu tiendras ta promesse. Je veux que de là-haut, tu veilles sur Basile. Moi, je m'en sortirais. Je m'en sors toujours comme tu peux le voir, même si ce n'est pas la grande forme en ce moment à cause du froid, mais je ne m'en plains pas. Basile lui, en revanche, ça va être différent. Il a connu bien trop de drames et de pertes pour que son cœur puisse encore en tolérer un. Il se montre fort, sans doute pour moi, mais quand tu partiras...Il aura besoin de quelqu'un, alors je serais là. Je serais là pour lui comme il sera pour moi et on avancera. Main dans la main. Honnêtement mamie, je ne conçois pas une vie sans Basile. Je ne conçois pas une page de mon histoire sans des lignes entières lui étant dédiées.
Je marque un arrêt et pose mon regard sur la fenêtre. Les gouttes s'y jettent et s'y fracassent par dizaine. Elles coulent et s'écoulent lentement.
- Il pleut. Je n'ai jamais aimé la pluie.
Ce jour-là aussi il pleuvait. Cette nuit où j'ai décidé d'écouter mon fort intérieur en me disant que je fais une bonne action.
Il pleut sur nos toits et sur nos têtes et cela ne semble pas être une averse de passage. Le ciel gris se couvre de teintes presque noires, menaçantes. On dirait que le mauvais temps va être là pour un bon moment.
- Si tu pars, pars le cœur léger et la conscience tranquille. Nous ne sommes plus seuls. Aucun de nous ne l'est et quoiqu'il puisse nous arriver, nous ferons front maintenant.
Je quitte la pièce quelque temps après avoir fini mon discours et me retrouve dans un couloir vide. Pas de Cléo ni de Basile à l'horizon. Je ne sais pas où ils sont partis encore ces deux-là.
- Décidément, on se croise beaucoup en peu de temps Gabriel.
Derrière moi, la voix de Michael résonne une nouvelle fois.
- Je te pensais parti ! fis-je en le voyant venir à ma hauteur
- Avec un temps pareil ?
On regarde tous les deux la grande baie vitrée du couloir et un soupir nous échappe avant de sourire.
- Tu sais ce que l'on dit sur les jours de pluie Gabriel ?
- Non...
- Qu'ils sont annonciateurs de grands malheurs. Quand le ciel pleure, rien ne va plus.
Peut-être me serais-je foutu de sa gueule s'il me l'avait dit il y a quelque temps de cela, mais maintenant, avec mon expérience récente, j'ai tendance à croire que Michael a raison.
- Alors, un grand malheur est à prévoir, hein ?
- Qui sait ? Il arrive souvent quand on s'y attend le moins. T'attends-tu à quelque chose ?
Je n'en sais rien. Que suis-je supposé attendre ? Jusqu'à présent j'ai toujours eu tout ce que je voulais et même plus. Jusqu'à présent j'ai été heureux à ne plus quoi savoir faire de mon bonheur si ce n'est l'étaler devant tout le monde. Je voulais leur dire "Hé ! Regardez-moi ! Je suis content"
Mais tout ça n'est pas venu du jour au lendemain ou du moins, il n'y aucune recette magique au bonheur, si ce n'est comme moi, il vous faut trouver la personne idéale. J'ai trouvé Basile et depuis, j'ai tendance à croire que je vis dans un conte de fées et que j'aurais le droit à n'importe quel moment au "Ils vivront heureux jusqu'à la fin des temps."
Mais la vie n'est pas un conte de fées, n'est-ce pas ? Rien ne se passe jamais vraiment comme prévu, hein ?
- Ah Gabriel ! Tu es là, je te cherchais !
Cléo nous rejoint Michael et moi, et je constate que Basile n'est pas avec elle.
- T'es toute seule ? Où est Basile ?
- Il m'a dit qu'il avait un truc à faire pas loin alors je suis restée pour t'attendre.
- Un truc à faire ?
- Il a dit que c'était un secret et je l'ai vu passé dans le hall tout à l'heure quand je revenais des toilettes.
- Cléo, tu as laissé Basile tout seul ?
- Oui...
La vie n'a jamais été aussi courte que lors de ce bref moment pour moi.
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Voyage au centre de ton cœur (BxB) - Tome 2 (PAUSE)
RomanceAlors que Gabriel a tout quitté pour poursuivre ses rêves, ces derniers se sont envolés juste sous son nez. Ne sachant plus quoi faire de sa vie et ne pouvant plus suivre le chemin qui lui était destiné, il décide alors d'une idée : Faire du village...