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Étalé de tout son long, le blond observait le ciel. Le sol du grenier était sale, jonché de trous, sinistre. Ses cheveux gras illuminaient le bois sombre, allongés avec paresse sur les planches et ondulant sur la matière opaque, et la poussière s'agglutinait dessus. Ces mêmes saletés se collaient aussi aux tissus déchirés de ses vêtements, à son teint blême et sur ses ongles malpropres. Une paire de chaussures boueuses en cuir agrémentaient cette composition misérable. Mais le jeune homme s'y désintéressait.

Couvé par les doux rayons du soleil, il détaillait simplement les nuages serpentant dans l'air à travers une brèche dans le plafond – percé par les nombreuses années écoulées. La cavité au-dessus de lui mesurait un bon mètre sur deux et permettait ainsi une belle vue sur le vaste étendu bleuté, comme une imposante fenêtre sans verre. Depuis qu'il était en cavale, le blond se demandait ce qu'il adviendrait de lui. De sa misérable existence. Malheureusement, aucune réponse n'apparaissait dans son esprit qui divaguait au gré du vent. Rien.

Il ferma les paupières et écouta la brise souffler légèrement, sifflant à travers le toit en mauvais état. La canicule estivale ne chatouillait plus mièvrement sa peau – alors qu'auparavant, la chaleur l'horrifiait et il redoutait avec peine la venue annuelle de l'été, tandis que ses congénères s'en réjouissaient – et aucune goutte de sueur ne dégoulinait de son front. C'était comme le froid hivernal : pourquoi diable ne mordait-il plus rageusement avec appétit les membres de son corps, jusqu'à les transformer en véritables stalagmites à taille humaine ? Le blond avait notifié cette absence de sensations climatiques sur son organisme – mais quand, déjà ? – et, en plus de le désoler, cela lui rappelait sa... sa « divergence ».

Il songea de nouveau aux siens. Que devenaient-ils ? Allaient-ils bien ? Leur manquaient-ils ne serait-ce qu'un peu ? Toujours des questions en suspens, mais jamais d'explications possibles ; seulement des hypothèses nées de son imagination enfantine. Bien entendu qu'ils se portent tous bien. Évidemment que tous sont attristés en pensant à ma disparition, ce sont des gens si aimants. Mais... il le fallait. Je n'avais pas le choix !

Le jeune homme se répétait ces affirmations presque chaque jour, à croire qu'il se persuaderait lui-même à force. La vérité était toute autre : comme un lâche il avait fui de son vrai chez-soi, poussé par l'émotion et avec zéro plan en tête. Résultat : il se retrouvait seul. Dans cette maison laissée à l'abandon depuis des lustres et qu'il avait dénichée par pur hasard, déambulant pendant des jours sans but précis. Que se serait-il passé, ce fameux jour, s'il avait attendu sa mère dans son lit de grand malade ? Encore une chose qu'il ne découvrirait jamais...

Il rouvrit les yeux. Ah, le bleu virait doucement au orange. Le temps passait si vite, il ne s'en rendait plus bien compte. Un battement de cils et hop ! Les secondes filaient à la vitesse de l'éclair sans sourciller ! Perdre cette notion dérangeait le blond encore un chouïa. Néanmoins, il commençait lentement à s'y faire. Et puis, c'était de loin le plus insupportable.

Finalement, la nuit tomba. Les oiseaux nocturnes hululaient en chœur, pendant que les insectes bourdonnaient joyeusement. Les nuages se dissipaient petit à petit dans la pénombre pour laisser place à l'opaline orbe éclatante et à une avalanche de constellations rutilantes. Le blond fixait l'horizon noir tacheté de blanc. Il avait toujours adoré la voie lactée, car les étoiles ne se métamorphosaient pas au fil des ans et elles restaient magnifiques. Quelques fois, il osait leur adresser la parole, leur partager un bon souvenir, leur donner le rôle de confidentes du soir. Un pincement au cœur mélancolique le déstabilisa quelque peu. Cette nuit encore, il ne dormirait pas.

Une puissante douleur assaillit son estomac de plus en plus fort, tel un poignard qui faisait des va-et-vient sans cesse jusqu'à le vider de ses tripes. D'un mouvement trémulant, il coinça l'arrête de son nez entre ses mains. Ses cils clairs chatouillant ses paumes et la gorge serrée, il grogna d'une voix intimement sucrée, chevrotante, suppliante :

— Qu'une personne bienveillante me sorte de cet enfer.

Le Blond aux crocs pointusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant