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Ce fut le vent qui ranima l'esprit de Faustin, médusé quelques courts instants par le vieux bâtiment.

Face à lui, quatre murs décrépits soutenaient fâcheusement ce qui ressemblait à un toit en compote. Des morceaux de verre – auparavant servant de fenêtres – s'efforçaient à s'accrocher au bois, ne voulant pas tomber dans l'oubli, et étaient tellement recouverts de saletés qu'on les confondrait avec de la terre séchée.

La végétation s'était approprié l'endroit. D'innombrables branches de lierre se baladaient dans la résidence comme le feraient des enfants dans une cour de récréation : dans tous les sens. Les arbres, dévêtus de leurs feuilles, s'aggloméraient autour de la maison, pénétrant ainsi leurs branchages à l'intérieur par les murs troués. Cela fournissait à la bâtisse une sorte de cachette, un moyen de passer inaperçue dans la touffe de rameaux raides.

Cela s'approchait plus d'une jungle que d'une forêt banale.

Bizarrement, cette ruine attirait l'œil agité de Faustin. Peut-être parce que c'en était une, justement. Ou alors parce qu'il n'en avait jamais vu de sa vie. Qu'importe la raison, le jeune homme trouva la bâtisse d'une angoissante et mystérieuse beauté. Il la comparait à un temple perdu, construit par une ancienne civilisation éteinte... Ou encore à un foyer attaqué par une horde de zombies affamés, durant une apocalypse. Au choix.

Se souvenant du froid qui attaquait tous ses membres et de ses « blessures de guerre », Faustin reconsidéra la maison sous un nouvel angle. Bien que le lieu se détériorait et ne respectait pas les normes d'hygiène évidentes, il n'y avait pas de meilleur abri contre ce temps hivernal à sa portée. De plus, le rouquin ne se permettrait pas de marcher, voire boiter plusieurs kilomètres pour rejoindre la première habitation disponible – qui ne l'accueillerait pas forcément à bras ouverts, vu l'heure matinale.

Et puis, y'aura moins de vent dans ma tronche. Sûr de son coup, Faustin clopina mollement en direction de son salut provisoire. Il songeait s'y reposer au moins une trentaine de minutes, avant de reprendre la route prévue. Le long de sa lente marche, le sang s'échappait de ses contusions, tâchant son pantalon et le col de sa doudoune.

Le rouquin utilisa inconsciemment son téléphone de manière très prévenante, frôlant limite le sol pour éviter une autre mauvaise surprise. Il arriva finalement à la porte le dos baissé et ses yeux verts scotchés sur ses baskets de sport usées.

Trop absorbé par l'idée de ne plus tomber, il ne s'aperçut pas que la porte était trop basse pour son un mètre quatre-vingt. Son front cogna le bois dur et le choc émit un bruit sourd qui lui abasourdit aussitôt les tympans. Dans un élan de douleur paroxystique, il s'accroupit en frottant l'os irrité.

On s'imaginait souvent que frictionner la partie du corps souffrant en diminuerait les effets nerveux. Mais Faustin comprit la triste réalité à ses dépens : cela faisait toujours aussi mal !

Le YouTubeur ravala un juron méprisant. Il ôta son bonnet pour tâter peureusement la zone d'impact. Il eut l'impression que l'atmosphère réfrigérée s'imprégnait dans son épaisse tignasse carotte, au point de pénétrer dans ses racines et de geler son cerveau. Étonnamment, cette sensation rafraîchissante lui fit du bien, comme s'il reprenait sa respiration après plusieurs minutes d'apnée. Cependant, lorsque son index effleura son front, une petite décharge électrique stimula son système nerveux. Une bosse pointait le bout de sa rondeur.

Il décida alors que cela attendrait ; il voulait en premier désinfecter son genou et sa joue.

Faustin s'engouffra enfin dans la maison. Le parquet en mauvais état grinça sous son poids. Un concert de crissements aigus envahit alors le minuscule et étroit corridor qui menait à l'ancien salon et son écho irrita les oreilles de l'intru.

Au bout d'une dizaine de clochements et de nombreux sons perçants, Faustin arriva dans une pièce ouverte où les murs n'abritaient pas tellement du vent glacial : des bourrasques entrèrent en trombe, firent danser le mosh aux cheveux du rouquin et agressèrent sa chair avec des piqûres aigres.

En fin de compte, c'était sans doute pas une idée si bonne que ça..., se dit-il en se réchauffant les avant-bras avec de rapides frottages. Il scruta les alentours et jaugea la température pour estimer si elle était moins froide dedans que dehors.

Tout compte fait, Faustin haussa les épaules d'un air blasé et marmonna en claquant sa mâchoire : « Pff, autant rester. », jugeant que cela ne pouvait pas être pire qu'à l'extérieur. Il dirigea au hasard la lumière du téléphone et examina machinalement la maison. Il cherchait un coin à couvert, immunisé du vent pour antiseptiser sereinement. Il ne vit que des escaliers conduisant à l'étage et, plus loin, une porte désuète fermée. Seuls ses reniflements répétés tintaient à voix basse dans ce décor singulier, atténués par la forte brise.

Dans son dos, un grondement sépulcral chuchota subitement.

— AH ! sursauta Faustin.

Le jeune homme se retourna si vite qu'il faillit trébucher. Ses lèvres violettes émirent un faible rire jaune :

— Ha ha, faut que j'me calme, moi... C'est rien d'autre qu'une vieille baraque.

Même s'il raisonnait avec orgueil, un sentiment d'appréhension s'installa dans sa poitrine qui battait à cent à l'heure. Sa tête regardait de tous les côtés.

Il avait l'impression que quelqu'un ou quelque chose l'observait, tapis dans la pénombre du lieu. Comme si une paire d'yeux le détaillait de haut en bas, l'épiant en toute quiétude et hors d'atteinte.

Faustin commença à avoir des sueurs froides dans le cou.

Sa mémoire repassa les innombrables films d'horreur de son répertoire, tout en se revoyant dans son canapé jaunâtre en charpie. Faustin savait toujours quand cela allait mal tourner pour les protagonistes, son instinct ne lui mentait jamais. Et c'était ce même instinct qui l'encourageait à déguerpir le plus vite possible de cet endroit devenu inhabité, inquiétant, lugubre, sombre.

Il se frappa les mains. Le claquement prompt résonna.

— Bon, s'exclama-t-il, c'est pas tout ça... mais faut que j'y aille, hein. Adieu, maison glauque !

Néanmoins, alors qu'il faisait de nouveau volte-face et s'orientait tout droit vers la sortie pour partir, un détail le frappa. De loin, deux ronds d'une couleur agréable – du bleu virant à l'azur en leur centre – se trouvaient sur le mur au-dessus de la porte close. Faustin fut étonné, il ne les avait pas remarqués pendant son inspection. À la première œillade, il crut que ce n'était que des espèces de stickers brillants collés au mur.

Malencontreusement, le rouquin n'eut pas le réflexe de les éclairer avec son téléphone. Quand cette paire de billes bleues disparurent une fraction de secondes pour réapparaître ensuite, il comprit. Mécaniquement, tout son corps se crispa dans un même mouvement et Faustin retint sa respiration, sa main serrant fort le cellulaire à croire que cela le protégerait.

Ce n'était pas deux autocollants. Mais deux iris sauvages qui surveillaient sereinement leur future proie.

Le Blond aux crocs pointusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant