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À l'intérieur de l'appartement numéro 506, le trio se regardait dans le blanc des yeux, ne sachant que dire. À quelques reprises, Raylenne et Faustin se lancèrent des œillades incrédules, car ils patientaient que le vampire reprenne la parole. La jambe de la Britannique tressautait sans cesse et, au fil des minutes, les frottements de tissu adoptaient un rythme plus endiablé.

Mine de rien, cela remplaçait le silence indigeste.

En les observant faire, Charles se souvint qu'il était devant deux personnes – inconnues à différents degrés – et qu'elles attendaient qu'il s'exprime. Mal à l'aise soudain, il perdit peu à peu de sa rage ; le brasier d'animosité qui l'animait plus tôt faiblit, faiblit, faiblit jusqu'à redevenir qu'une vague illusion. Parler en public, même face à son entourage le plus proche, se présentait comme la pire des tortures pour lui.

Il s'écrasa alors sur son fauteuil et se remémora son père – à qui cela paraissait si facile ; son aisance, sa voix grave, son talent pour toujours trouver les mots justes, sa capacité à détendre l'atmosphère à l'aide d'une simple blague. Personne ne pouvait haïr César de Poyenneville.

Il pensa ensuite à sa mère, aux côtés de son mari, si fière de leur union et d'eux deux. À sa sœur et à son frère, constamment à discuter avec de nouvelles têtes, à étendre leur réseau d'amis de leur propre initiative.

Et puis, il y avait lui. Le petit Charles, le grand timide, le cadet qui souhaitait à tout prix éviter les entretiens sociales et se cachait dans son coin. Le musicien qui, sans son don, serait le mouton noir de la famille de Poyenneville.

Se rappelant qu'il était resté coi depuis un moment, le noble finit par sortir de ses souvenirs. Raylenne et Faustin persistaient à le fixer, une moue sceptique maladroitement dessinée sur leur faciès.

Charles se ressaisit et, se raclant la gorge, enchaîna :

— Sachez que, d'où je viens, nous accordons énormément de valeur aux présentations d'usage. Puisque dans le fond, si nous collaborons afin de mettre au point un remède, se connaître davantage m'apparaît comme une évidence. Qu'en dîtes-vous ?

De nouveau le duo d'humains n'eut pas pipé mot.

Au contraire, ils se tournèrent l'un vers l'autre et se sondèrent derrière leurs lunettes, comme s'ils communiquaient par télépathie. Pour Charles, ils lui parurent hésiter à donner leurs noms, ou peut-être ne comprenaient-ils pas où le blondin voulait en venir. En même temps, lui-même ne savait pas tellement comment tirer profit de ces informations, à part pour établir une certaine confiance entre eux trois. Le premier pas à franchir pour une coopération viable.

Raylenne grimaça, les pupilles enfouies sous ses sourcils renfrognés, et sa jambe sautilla de plus belle. Elle se pencha vers son voisin.

— De quoi il parle ? demanda-t-elle dans un chuchotis à Faustin, prise au dépourvu. C'est quoi encore, cette histoire de remède ? Il est malade en plus ?

L'interlocuteur étoilé ne répondit pas tout de suite. Il passa de Raylenne à la couleur champagne délavé sur laquelle ils étaient assis, et il se mit à réfléchir. À réfléchir très intensément. Mais rien ne lui vint dans l'immédiat. Son cerveau ne contenait plus que de la vapeur, comme si un brouillard épais l'empêchait d'y voir plus clair.

Il se reconcentra sur sa meilleure amie, qui n'avait pas bougé d'un iota, courbée vers lui.

— Je... je ne sais pas, bredouilla-t-il aussi à voix basse. Un vampire malade, c'est bien la dernière chose à laquelle j'aurais pensée.

— Cette situation empire de plus en plus, fit remarquer Raylenne en soupirant, sa jambe accélérant la cadence. Sérieusem...

— Excusez-moi ?

Le Blond aux crocs pointusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant