Un ronflement sourd et aspiré remplissait le calme nocturne de la pièce, les murs – peints dans un gris terne – visiblement pas assez épais pour filtrer le chahut des voisins de Faustin. Ayant expérimenté ceci depuis son arrivée en Auvergne, le rouquin ne s'énervait plus d'entendre la personne d'à côté lui vrombir la nuit, la tête enfoncée dans son oreiller afin de masquer un maximum le bruit constant.
De toute façon, ce n'était pas comme s'il cherchait réellement à s'endormir.
Pas assoupi pour un sou, Faustin quitta finalement le grand lit moelleux deux places pour se diriger vers le balcon de sa « suite royale » – il surnommait toutes ses chambres d'hôtel ainsi, pour « le style » selon lui. Au passage, il attrapa à la volée un sweat blanc et un jogging qui flemmardaient jusque-là sur une chaise et les enfila en vitesse. Ses tongs de plage aux pieds, il se hâta d'ouvrir la baie vitrée qui le séparait de l'extérieur et s'y précipita presque ; l'envie urgente de respirer devenait insoutenable.
Un millier d'épines glacées s'abattirent sur sa peau grelottante et s'enfoncèrent dedans, alors qu'il claquait déjà des dents et des jambes. Il anhéla l'air frais mélangé à la fine brume qui voguait depuis quelques nuits dans les environs ; en pleine nature, celle-ci se faisait bien plus épaisse qu'en ville.
Le sweat laiteux du jeune homme arborait une phrase qui définissait plutôt bien sa situation actuelle. En lettres capitales, « VOICI LA RÉALITÉ. » ornait fièrement son buste. Cette coïncidence l'exaspéra encore plus quand il jeta un regard expéditif au vêtement qu'il avait saisi au hasard. S'il ne faisait pas aussi froid – le mois de novembre s'annonçait sévère, cette année-ci –, il l'aurait balancé sans hésiter par-dessus bord. Au moins, si quelqu'un l'avait reçu en pleine poire, le rouquin aurait été un tant soit peu diverti.
Ses yeux se posèrent instinctivement vers l'endroit taciturne où découlait le chemin enneigé d'hier. Celui qu'il avait emprunté pour rejoindre ces fichues marmottes et autres bestioles, marquées dans son catalogue de Bébêtes de la montagne, qu'il comptait filmer pour sa vidéo documentaire. Celui qui était la source des évènements de la veille. Et celui qu'il avait dévalé à fond la caisse, en proie à des étourdissements multiples, trébuchant à plusieurs reprises et se relevant à chaque fois, après avoir planté ce bâton pointu... dans la nuque de son agresseur.
Le souvenir du hurlement piteux de cet inconnu défila une énième fois dans sa mémoire. Le cri avait définitivement tranché la tranquillité malsaine de l'ancienne demeure. L'homme était tombé à terre, pendant que Faustin se relevait précipitamment et fuyait sans demander son reste. L'idée de jeter une œillade rapide, à ce moment-là, pour vérifier s'il n'avait pas bel et bien commis un meurtre n'avait pas traversé son esprit perdu et violenté.
Sans prévenir, un impétueux haut-le-cœur remua vivement son estomac et, une main sur la poitrine, il s'agrippa à la rambarde pour ne pas vomir. Un goût écœurant brûla sa gorge et le rebuta davantage. Oh bordel ! Oh bordel de bordel de merde, j'ai tué quelqu'un ! réitéra-t-il encore, provoquant ainsi une autre nausée. Il entendait le sang battre ses tempes et sa vue se brouillait un peu lorsqu'il balança tout son corps sur la pierre de la balustrade, la main fermement ancrée à cette dernière, les genoux pliés et la tête en arrière, comme pour signifier qu'il acceptait la punition qu'on venait de lui imposer en conséquence de ses actions de la veille.
Il était écœuré de lui-même.
Néanmoins, le pire était son épiderme : la sensation de son corps sur le sien et de sa langue léchant sa joue restait encore présente... comme si cela ne s'arrêterait jamais.
Ce matin-là, après avoir affronté le regard surpris du réceptionniste – le même bougre qu'il avait salué tout sourire en partant, comme l'avait crié le YouTubeur, « À l'aventure ! » –, Faustin avait dû retenir ses larmes et brusquer son pas pour se cacher dans la cage d'escaliers de l'hôtel, lui et ses blessures, la paume sur la morsure fraîche. Sale, se sermonnait-il, je suis sale... Voilà ce qu'il pensait de lui au moment où il tournait la poignée de la chambre numéro 152, la sienne.
Pendant une bonne demi-heure, il était resté sous la douche à se frotter toutes les parties du corps possibles jusqu'à s'en irriter l'enveloppe corporelle. (Tant pis pour la planète qui avait perdu des litres d'eau à cause de lui, son côté écologique n'était pas au beau fixe.) Toute la bouteille de savon y avait trépassée. Le son du liquide gluant qui sortait paresseusement de l'embouchure plastique résonnait toujours dans ses tympans. Sale, se répétait-il, je suis sale... Je me hais... Je me hais, putain !
En sortant de la douche, il s'était regardé longtemps dans le miroir. Son reflet ne pouvait lui mentir : il était pathétique avec ses yeux rougis et gonflés, son teint livide et la terreur qu'inspiraient ses traits tendus. Il finit par s'extirper de la salle de bains une heure plus tard, ses plaies désinfectées et pansées.
Le reste de la journée épuisa les dernières ressources du jeune homme ; même s'il tentait de remplir son ventre, il se retrouvait la minute suivante dans les toilettes à dégobiller à contrecœur, les larmes dévalant ses pommettes et la matière âcre se répandant à l'intérieur de son être pour atterrir dans la cuvette, dans une cacophonie des plus joyeuses. Son organisme criait famine, mais pas Faustin. Sur le tableau des victimes à déplorer : deux bananes, une boîte de nouilles instantanées, un quart de baguette et trois bouteilles de Cristaline, inutilement perdus dans les tourbillons de la chasse-d'eau.
À bout de force et suite à de nombreuses crises d'hypoglycémie, Faustin avait éprouvé le besoin de s'allonger. Une fois sur le lit, il n'avait pu réprimer un râle de bonheur et d'accablement. Sa crainte que son duo de caméras soient brisées en mille morceaux l'avait quitté : c'était devenu le cadet des soucis de Faustin.
Étendu sur le lit, il avait hésité à appeler ses parents ou Raylenne. Il ne trouvait pas la force d'y arriver. Au final, il avait abandonné l'idée, éteint son téléphone et traqué désespérément le sommeil, la couette le recouvrant entièrement comme pour disparaître. Mais quand ses paupières se fermaient, la paire céruléenne apparaissait devant lui. Elle était troublante, dérangeante, terrifiante.
Depuis, Morphée fuyait Faustin, terrassé par ses rêves.
Faustin se pinça l'arrête du nez, exténué. Il rotait bizarrement et sa main, comme un bouchon sur un flacon, obstruait sa bouche pour empêcher le liquide acide de sortir. Comprenant que le temps de courir aux WC, il serait déjà trop tard, le rouquin opta pour vider ses tripes au-dessus de la rambarde. Il bascula sa tête en avant, prit une grande inspiration, puis lâcha le tout le plus loin possible du mur de l'hôtel – histoire d'obtenir aucune plainte de la part du propriétaire.
L'instant d'après, une clameur lasse et des rires gras, tonitruants se firent entendre. Une voix rocailleuse – un fumeur sans doute – s'éleva dans la sérénité noctambule :
— Mais c'est dégueulasse !
La pluie de gerbe avait atterrit sur un homme quadragénaire, dont le crâne rasée était vêtu d'une pâteuse perruque couleur vomi.
Finalement, Faustin avait eu son divertissement. Dommage qu'elle lui laissait une saveur âpre au fond du gosier.
n. d. a. : voilà, pour m'excuser, un chapitre en avance !
d'ailleurs, petite découverte de la semaine (grâce à ma mère) : je ne savais pas que le terme "rouquin" était péjoratif. tant pis, je l'utiliserai, parce que j'aime bien appeler Faustin "le rouquin" ! n'y voyez pas une façon de vous insulter, si vous êtes roux ; soyez plutôt fiers de vos cheveux, c'est bô la couleur rousse *^*
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Le Blond aux crocs pointus
VampireIl est une maison en ruines, située en pleine forêt, que personne ne connaît ou que tout le monde a oublié. Mais si on arrive à l'atteindre par un quelconque hasard, on peut voir un visage de porcelaine chinoise s'échapper d'une vieille lucarne, une...