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Faustin avait beau se triturer les méninges, il ne comprenait toujours pas où et quand tout avait déraillé. Était-ce quand l'idée d'un documentaire avait germé dans son esprit, quand il avait réservé dans cet hôtel spécifique, ou bien était-ce la période de l'année le problème ? (Parce qu'il serait impensable de se perdre de la sorte en été et de glisser sur de la mousse gelée à basse altitude.)

Ou alors était-ce le fait que Faustin était entré à deux reprises dans cette maison – une ruine un tant soit peu sordide et lugubre si on l'examinait de plus près – à la fois loin de la civilisation et de la police ? Plus il y réfléchissait, plus sa conscience lui criait : « Mais pourquoi tu n'es pas allé te dénoncer AVANT de te jeter une seconde fois dans la gueule du loup ? T'es débile ! »

Oui, oui, Faustin avait compris en quoi son agissement était insensé : en plus de rester au chaud au commissariat pendant que les policiers iraient vérifier la « scène de crime », il serait à l'abri là-bas... car il n'y avait aucun cadavre sur cettedite scène de crime. Envolé, pouf, plus rien ! Et pourtant, une sorte d'énorme flaque sèche, qui répandait une espèce de couleur marron morne, s'était imprégnée dans le bois pourri du sol. Si le gars n'était pas décédé, Faustin risquait-il toujours la prison ?

Faustin se demandait aussi comment il avait réussi à retrouver son chemin jusqu'à cette maison. Car elle était quasi-inaccessible si on ne connaissait pas d'avance le chemin exact ; il fallait tourner après un buisson typique, s'engager dans un amas de neige au hasard, continuer tout droit et tourner de nouveau, puis revenir de quelques mètres en arrière pour bifurquer un dernier coup et atteindre la demeure à la limite de la démolition. Bref, c'était vraiment « du gâteau ». Si bien que Faustin avait durant des heures erré dans les bois à la recherche d'un quelconque indice sur le bon itinéraire à suivre – lorsqu'il avait pénétré derechef dans le foyer insalubre, sa montre indiquait midi passé.

Quelle joie quand il avait aperçu au loin le toit en charpie, caché au milieu de la végétation colossale ! Alors, comment diable la police s'en serait-elle mieux sortie que lui, dans l'hypothèse où elle se serait déjà dirigée dans la bonne direction dès le départ. S'il avait eu recours à elle, les policiers auraient fatalement rien découvert et, en prime, l'auraient pris pour un menteur.

À la place de tout ceci, il se retrouvait seul en compagnie de ce jeune homme bizarre, ayant fait son apparition en un claquement de doigts sans prévenir – à part le grincement, devenant de plus en plus familier à l'oreille du YouTubeur, qui avait claqué sous ses chaussures de cuir très abîmées pour annoncer sa venue soudaine.

Charles.

Charles au visage de porcelaine, aux pommettes et lèvres rosées. Charles aux boucles dorées, mal coiffées et grasses comme s'il se servait quotidiennement de beurre en tant que shampooing. Charles à la tenue démodée d'au moins un siècle et tellement froissée que Faustin crut aux premiers abords que le blondin avait passé ses nerfs dessus longtemps. Charles au regard aussi stupéfait, perdu, déboussolé que celui du rouquin. Charles qui dissimula ses oreilles pointues sous ses paumes immédiatement. Charles à la nuque blessée et en voie de guérison que Faustin ne vit pas.

Le YouTubeur s'interrogea sincèrement sur la raison de sa présence en ce lieu déprimant. Il ressemblait plus à une poupée fragile et perturbée qu'à un psychopathe malsain. Il est certainement une autre victime, comme moi, conclut-il. Et s'il avait été kidnappé par ce type ? Ça expliquerait son attitude et sa tenue crade.

Faustin avala une grande goulée d'air en fermant les paupières, puis l'expira d'un coup sec. À peu près calmé, il fit l'inventaire des éléments à sa disposition afin de remettre un brin d'ordre dans sa tête. Un : à son arrivée, aucun cadavre ne l'attendait patiemment (ce qui était une bonne nouvelle, il n'avait tué personne). Deux : cependant, une étrange trace de couleur tout aussi étrange demeurait dans la pièce de l'agression (ce qui était une moins bonne nouvelle, l'agresseur s'était enfui). Trois : la couleur étrange était presque du même coloris que les taches à moitié effacées sur la chemise gris ardoise de l'inconnu en face de lui ; si c'était bien du sang sec, cela signifiait-il qu'il était blessé ? Et quatre : Faustin devait sauver cette personne coûte que coûte !

Quant au blond, ce dernier tremblait davantage au fil des secondes qui leurs semblaient à tous deux être des heures. S'il est réellement blessé, pensa le rouquin, il faut que je l'emmène voir un médecin ou la police.

Faustin inspira.

— Salut, sourit-il.

Le blond ne répondit pas, laissant Faustin retomber dans un silence embarrassant avec son sourire forcé. OK, c'est mal parti.

— Dis-moi, reprit-il, je sais qu'on ne se connaît pas... Mais est-ce que t'as mal quelque part ? T'as pas l'air bien.

— ...

— Est-ce que t'as été séquestré ici ?

— ...

— Je... Il m'a attaqué hier matin. Là-bas, précisa Faustin en pointant du doigt la salle avec la flaque maronnée.

Malgré ses efforts, Charles ne dit rien. Il se contentait de fixer le sol d'un air bêta, les mains sur ses oreilles. Faustin fronça des sourcils, l'air consterné, puis il se ressaisit :

— Pardon pour mes questions. Mais sache que tu peux me faire confiance. (Il avança d'un pas seulement.) Si tu veux, je peux t'aider.

Charles se figea sur place. Aider ? Et l'aider à quoi ? Il n'avait pas besoin d'aide, et il mettrait plus la vie du rouquin en danger. De toute façon, il ne saisissait rien de ses paroles. Charles ne voulait prendre aucun risque. Par conséquent, il secoua la tête de gauche à droite, signifiant qu'il refusait son offre. Faustin ne cacha pas sa déception.

— C'est dans ton intérêt, ce malade mental est dangereux et tu le sais !

En entendant l'étranger crier, effrayé, Charles commença à s'enfuir à la hâte. Mais en reculant à l'aveuglette, il finit par trébucher sur un caillou, puis il s'effondra sur la neige en murmurant un petit couinement sonore. En tentant de se rattraper, il était tombé sur le flanc droit. Il se cogna le crâne si fort par terre que Faustin, qui ne comprit pas tout de suite comment le garçon-à-l'entrée-du-corridor s'était déplacé aussi rapidement, se rendit compte de sa bêtise. Il ne paniqua pas, mais se précipita dehors pour secourir le blondin et, tendant son gant, il parla d'une voix plus chaude et conciliante :

— Tu vas bien ? Je suis désolé, je n'aurais pas dû hurler...

Faustin ne termina pas sa phrase, car la nuque de Charles était complètement vulnérable, à la vue de tous. Et il vit le trou qui se refermait. Et il vit les oreilles angulaires. Et il rencontra encore les iris de l'inconnu, dont la pigmentation de loin ne l'avait pas choqué. Toutefois, de près il reconnut sans problème ce fameux bleu virant à l'azur en leur centre. Comme ceux de son assaillant.

Et Faustin sut que son agresseur, présumé en fuite et à moitié-mort, se tenait droit devant lui, plus vivant que jamais.

Charles lut un mélange de stupeur, de peur, de colère et de répulsion sur son visage mangé par les éphélides.


n. d. a : la rencontre fatale, tintintin !... que j'ai galéré à écrire, haha, et je l'ai réécrit une dizaine de fois cette semaine T^T

si vous voyez un défaut d'écriture, dites-le moi :'(

Le Blond aux crocs pointusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant