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Tout se passa vite.

Une sorte de grognement éclata dans la pièce. Le plancher du mur craqua graduellement avant de s'étouffer dans l'obscurité, tandis que les ronds azurés reculaient pour se scotcher sur le vieux bois. Le propriétaire de ce regard bleu avait pris de l'appui. Faustin sut alors que la « chose » s'apprêtait à sauter. À l'attaquer.

Mais il ne réagit pas, figé par la peur. Sinon, le rouquin aurait adoré sauter à travers l'ancienne fenêtre, à sa droite, et courir sans se retourner avec des poumons au bord de l'explosion. Cependant, il n'était pas dans un film d'action. À la rigueur, la seule chose envisageable aurait été de passer en force, tout en évitant un maximum de boiter – et de tomber à nouveau en s'étalant comme une crêpe à plat ventre – pour ne pas finir dans la bedaine du « truc-qui-grognait-de-façon-extrêmement-terrifiante ».

Néanmoins, prenant par surprise Faustin qui n'eut pas la possibilité d'échafauder un véritable plan, la réalité le rattrapa... littéralement.

Deux flashs célestes fondirent sur le sol, créant l'illusion parfaite de deux longues et fines vipères serpentant de part en part la pièce jusqu'à atteindre les chaussures de Faustin. Soudain, une main plus que glacée – une main ? – agrippa son cou et plaqua l'entièreté de son corps à terre. La collision de la masse de Faustin fit claquer le parquet en mauvais état et un grand crissement plaintif annonça que l'assemblage de vieilles planches en bois était sur le point de succomber. Ballotté expéditivement en arrière, le sac sur son dos heurta sa colonne vertébrale et, lorsqu'il frappa de plein fouet la surface rigide, son genou injurié lui envoya clairement un message de détresse. Ces chocs furent si âpres qu'ils se rajoutèrent immédiatement à la liste des supplices physiques qu'endurait le jeune homme.

Mais Faustin portait toute son attention sur les doigts de glace qui appuyaient sans aucune hésitation sur sa gorge. Il crut qu'un iceberg tentait par tous les moyens de s'échouer à l'intérieur de son gosier pour l'étouffer éveillé. De plus, le corps au-dessus de lui était tellement frigide qu'on se méprendrait avec un cadavre ; sa carcasse engendra de la froidure qui traversa les tissus de leurs vêtements respectifs et annihila le peu de chaleur que Faustin avait préservé jusque-là.

Sa respiration se fendit rapidement et il eut peur un instant, sentant la poigne congelée resserrer son étau autour de sa trachée, que l'attaquant finirait par le décapiter vivant. Les pensées de Faustin furent bouffées par la panique. Ses grandes mains se cramponnèrent à celle de l'agresseur, usant toute l'énergie à leur disposition, et cherchèrent désespérément une porte de sortie à ce cauchemar qui s'annonçait sans fin. Malheureusement, elles furent tout à fait inoffensives : à part la couvrir de griffures – quoique pas très radicales avec des gants si rembourrés –, l'inconnu ne lâcha pas son emprise sur le rouquin.

Au contraire, il se pencha et balança tout son poids sur le buste de Faustin, dont le souffle saccadé remplissait à grand-peine le silence pesant et les pathétiques couinements du plancher qui les encerclaient au ralenti. D'un côté, les maigres halètements peinaient à sortir de la bouche de Faustin, encombrée par sa recherche vaine d'oxygène. De l'autre, la personne à califourchon sur son squelette presque achevé n'émettait aucun bruit ; rien, même pas un rire carnassier qui accompagnerait l'ambiance morbide naissante.

Alors que son visage était inondé par des sudations apeurées, ses lunettes glissant sur sa peau enduite de transpiration, les yeux de l'homme – vu sa carrure masculine et sa force herculéenne, le rouquin en déduisit que c'en était un – se posèrent sur les siens : des iris céruléens, lumineux et enveloppés par des globes oculaires noirs, plongeaient dans ceux de Faustin. Le terme « déroutant » paraissait plutôt approprié, si le jeune homme se devait de les définir en un seul et unique mot.

L'expression « Les yeux sont le reflet de l'âme. » apparut dans l'esprit désarçonné du vingtenaire. Pourtant, aucune émotion ne brillait dans les prunelles de l'assaillant : ni colère ni sadisme, même pas de l'hésitation ! Comme si attaquer les gens n'était qu'une vague habitude pour lui. Comme s'il... ne possédait aucune âme.

Puis, l'étranger fit une action inopinée.

L'homme détendit subitement l'étreinte et relâcha un tantinet le cou de sa victime. Instantanément, Faustin respira à s'en déchirer la poitrine et toussa comme il put, toujours gêné par l'ascendant de l'autre. Hein ? éructa-t-il. Cet inconnu... croyait-il que tout ceci n'était qu'un stupide jeu ? Parce qu'il s'amusait ! Oui, il osait jouer avec sa vie ! Si Faustin n'était pas dans l'incapacité de malaxer de la bave pour l'expulser d'un mépris clair et direct sur l'agresseur, il n'hésiterait pas une seconde à lui cracher dessus.

Le YouTubeur n'eut pas le temps de se questionner plus, car une matière visqueuse hydrata d'une drôle de substance gluante sa joue, où avait séché le sang de sa plaie. Faustin fit les gros yeux, autant dégoûté que pris au dépourvu.

De la salive ! Cet inconnu répugnant était en train de le lécher, là, maintenant, tout de suite ! Malgré la situation inquiétante, Faustin grelotta d'amertume. (Est-ce que l'homme, pour se venger de ses idées de crachat sur sa figure, avait décidé de riposter par une idée identique ? Et était-ce une preuve irréfutable que la télépathie existait bel et bien sur Terre ?)

Brusquement, une chose pointue se positionna sur sa blessure et la transperça. Le rouquin émit un nouveau râle de douleur. Puis, une succion à peine audible commença à aspirer le liquide cramoisi qui en découlait. Faustin crut que cela ne pouvait pas être pire, qu'il avait atteint les tréfonds de l'abysse la plus profonde de tout l'univers. Visiblement, il s'était trompé en beauté et venait d'atteindre un point de non-retour.

L'homme avalait son sang.

Et il prenait bien son temps, ne se précipitant nullement pour achever sa tâche au plus vite. Le jeune homme manqua de s'évanouir de terreur sur le coup.

À moitié dans les vapes, l'haleine transie qui frigorifiait sa pommette le réveilla. Il faisait un froid de canard. Son genou était ouvert. Son dos s'était éclaté contre son énorme sac, sa paire de précieuses caméras certainement pétées. Et quelqu'un lui pompait des globules rouges via sa pauvre joue. Faustin bouillit d'un mélange de sentiments explosifs : crainte, désolation et surtout rage. Sa tête commençait à tourner.

Néanmoins, la témérité prit le dessus.

Faustin abandonna l'idée folle de combattre en retour son assaillant et profita du fait que l'homme était bien trop préoccupé par boire son sang pour chercher une arme. Ses gants tâtèrent le sol à l'aveuglette. Il fallait absolument qu'il ramasse quelque chose d'utile pour se défendre. Une plume, un escargot, un caillou, n'importe quoi !

Allez, s'il vous plaît..., renifla Faustin qui essayait de se mouvoir pour étendre sa zone de recherches. L'homme l'ignorait ; ce dernier le sous-estimait sûrement – et il aurait raison –, n'arrêtant pas de s'abreuver dans ses veines. Mais après s'être désintéressé de sa joue, que ferait-il de lui ? Les larmes montaient aux yeux de Faustin. Il ne voulait et ne pouvait pas mourir maintenant ! Pas comme ça !

Alors que des pleurs brouillaient sa vue, qui ne percevait déjà pas grand-chose dans l'obscurité, sa paume effleura un bout de bois massif affûté en pointe, tel un pieux endommagé. Une arme ! Faustin ne réfléchit pas plus longtemps. Il empocha ladite arme, bloqua la mâchoire de l'inconnu avec sa main gauche et, rapide comme l'éclair, l'enfonça de la droite dans la nuque de Charles.

Le Blond aux crocs pointusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant