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Les particules immaculées atterrissaient vaillamment sur le bonnet foncé du rouquin, surplombé par une lampe frontale qui éclairait son chemin. La laine le grattait, mais il ne pouvait l'enlever sous peine d'obtenir une tête congelée. Alors, le jeune garçon s'efforçait de faire avec cet inconvénient et il continuait à tracer sa route dans la neige. Il n'était que sept heures du matin et les épais nuages cachaient la clarté de la lune, le soleil toujours couché.

Tandis qu'il s'avançait courageusement dans la noirceur de l'aube, les jambes ensevelies sous l'amas de flocons à chacun de ses pas, une vive bourrasque vint lui fouetter le visage. Au contact de cet air frigorifié, le rouquin claqua des dents et grelotta. Il tenta de s'en protéger à l'aide de ses gants épais.

Cependant, rien n'y fit et d'autres rafales, toutes aussi puissantes que glacées, frappèrent ses joues qui virèrent immédiatement au rose saumon. Il en grimaça d'irritation et de douleur.

— He-Heureusement que je ne les ai pas sorties..., trembla sa voix habituellement chaude.

Il sous-entendait par-là ses précieuses caméras, toutes nichées dans son gros sac rouge et gris – spécialement acheté pour cette semaine « vlog nature ». Son matériel de travail, en somme, puisqu'il n'irait pas bien loin sans tout cet attirail.

Faustin Courtet, célèbre YouTubeur sur le web francophone, résidait depuis deux jours en pleines montagnes auvergnates. Son but : filmer des mini documentaires sur la faune et la flore pour ses – approximativement – sept millions d'abonnés. Il n'en réalisait qu'environ deux à trois fois par an, ce qu'il trouvait dommage. Néanmoins, il fallait varier le contenu. Tout le monde devait y trouver son compte.

Sa lampe frontale clignotait de plus en plus, n'augurant rien de bon. Pour remédier à ce problème, Faustin avait la fâcheuse manie de simplement tapoter avec son index sur le faisceau lumineux et de marcher là où ce dernier dévoilait passablement le trajet. Mais à cause de sa vieille lampe qui rendait l'âme au mauvais moment, son éclairage ne brillait pas assez fort. Une infime partie de l'allée sauvage se présentait à lui sous un faible halo de lueur artificielle pendant que le reste se tapissait dans l'ombre opaque.

Toutefois, le rouquin se mouvait toujours. Il ne voulait pas retourner dans sa chambre d'hôtel, car ce serait comme abandonner et décevoir ses nombreux fans ! (Et cela reviendrait aussi à affirmer qu'il n'était pas aussi débrouillard qu'il le pensait.) Mais quand il se projeta dans la chambre, allongé sur le lit deux-places douillet, moelleux, chaleureux qui l'attendait des kilomètres plus bas... Il hésita une fraction de secondes.

— Stop ! s'insurgea-t-il en secouant la tête, lui donnant encore plus envie de se gratter le crâne. Je dois penser à ma communauté. (Il serra le poing et prit une pose de super-héros.) Et je n'ai pas besoin d'un guide pour me déplacer en forêt !

Il reprit la route.

En revanche – et malgré son égo quelque peu étouffant –, le pied du jeune homme glissa sur une pierre dissimulée dans l'obscurité. Le poids imposant du sac s'appuya sur son dos et le précipita dans sa chute. Merde, constata Faustin à quelques centimètres de la terre enneigée. Son visage s'enfouit immédiatement jusqu'aux oreilles dans la glace pillée.

En premier, il sentit sa peau brûler de froid intense et son genou gauche percuter quelque chose d'extrêmement pointu, suivi de la sensation d'un liquide chaud parcourant le reste de sa jambe. Puis, une branche perdue sous la substance blanche amocha une de ses joues. Faustin réprima un râle de désespoir. Sur tous les hectares enneigés de la forêt, il était TRÈS mal tombé !

Son nez se trémoussa comme dans Ma sorcière bien-aimée, mais avec plus de vigueur et noyé sous l'océan de flocons qui l'encerclait. Sa lampe frontale appuyait fortement sur ses lunettes et son os nasal, l'objet ayant également dégringolé dans la précipitation. Faustin se releva à plat ventre et éternua bruyamment trois fois de suite. Il avait de la neige dans les narines.

Tout en se remettant debout, Faustin sentit la coupure pas trop profonde qui s'était ouverte, durant sa cascade, sur sa joue meurtrie. Une perle de sang s'y formait déjà et coulait le long de son visage. Le rouquin, même si cela le tentait, ne l'effaça pas d'un revers de la main ; il ne devait pas infecter la plaie avec ses gants sales. Il se contenta plutôt d'essuyer grossièrement en cercle la trace cramoisie qui dégoulinait le long de sa mâchoire, évitant directement la source de la blessure.

Il vérifia l'état de ses lunettes, tout en les nettoyant de la neige qui les encombrait pour recouvrer un minimum de vue. Heureusement, elles n'avaient rien. Il remit la paire en plastique sur son nez rougi.

Faustin enleva la lampe éteinte – ou cassée ? – de son bonnet et martela doucement son faisceau. Elle ne se ralluma pas. Donc, cassée. Génial, grogna-t-il intérieurement. Il la rangea dans son sac, devenue inutile, et sortit son téléphone à la place pour éclairer sa route. Une démangeaison le titilla et il éternua derechef. Le rouquin n'avait pas prévu d'avoir les orifices nasaux bouchés par de la morve, il n'avait donc aucun mouchoir sur lui. Il renifla son mécontentement et reprit la marche.

Le YouTubeur boitait tant son genou lui faisait mal. Dorénavant, sa priorité était de trouver un endroit à l'abri du vent pour désinfecter et panser ses plaies – car, en plus d'être fier comme un paon, Faustin se montrait précautionneux (sauf en ce qui concernait des paquets de mouchoirs) et son sac contenait un petit kit de secours.

Après ce qui lui parut une éternité, son corps cravaché par l'intempérie, comme si quelqu'un avait exaucé sa prière, Faustin tomba nez à nez avec une maisonnette en ruines, abandonnée au milieu de la végétation nue.

Le Blond aux crocs pointusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant