J'aide Neha à faire ses devoirs. On fait des calculs, des lignes d'écriture et je la laisse me lire un passage de son nouveau livre préféré. J'adore cet âge, entre l'enfance et l'adolescence. Elle aime toujours les princesses, rêve d'en devenir une et je la laisse y croire, parce que rêver ça fait du bien.
Je finis par lui brosser ses longs cheveux noirs puis lui fait une natte. Zora n'est toujours pas revenue et Shadan finit par passer la tête dans l'entrebâillement de la porte de chambre.
- Le dîner est prêt. Tu manges avec nous ?
Je secoue négativement la tête puis la remercie sincèrement avant d'enfiler ma veste en jean et de m'apprêter à partir.
- Je ne savais pas que tu avais un fils.
Je n'ai jamais réellement prêté attention aux affaires présentes dans la maison. Tout est toujours bien rangé. Il n'y a jamais une paire de chaussures qui traine dans l'entrée ou des vêtements pendus aux chaises. L'espace est déjà petit alors laisser des vêtements ci et là rétrécirai davantage le volume des pièces.
Shadan acquiesce puis cherche ses mots, je ne la précipite pas.
- Zayd, bon garçon.
Elle ne dit que ces quelques mots mais l'émotion dans sa voix est vive. Ses yeux brillent et sont rempli d'amour. C'est beau tout cet amour. Cette famille me fait rêver. Elle est tellement différente de la mienne. Le peu que j'entrevois mes parents c'est pour être questionnée sur mes moindres faits et gestes. La confiance est aux abandonnés absents. Ils tiennent à moi à leur façon, c'est avec cela que je me rassure.
- Il travaille à la superette au bout de la rue. C'est notre magasin. déclare-t-elle.
- Vous avez un magasin ?
Elle hoche la tête, replace derrière son oreille une mèche échappée de son chignon puis inspire profondément.
- C'était à mon mari. Zayd a repris l'affaire quand il est décédé.
La tristesse se lit sur ses traits et mon cœur se serre. Elle n'a jamais évoqué un homme jusqu'alors et je n'ose pas poser davantage de questions. Nous ne nous connaissons pas depuis très longtemps, le fait qu'elle partage des choses avec moi comme le thé et sa culture est déjà énorme. Je lui en suis très reconnaissante.
- Il travaille tard, il essaye de prendre soin de nous. Moi, je fais des ménages la nuit. Je pars quand il rentre, vers vingt-deux ou vingt-trois heures, comme ça les filles ne sont jamais seules.
- Ce n'est pas facile...
Elle secoue la tête, les lèvres pincées puis déglutit difficilement. Je lui presse aimablement le bras.
- Pas beaucoup d'argent. Mais on y arrive, les enfants ont toujours à manger.
- C'est l'essentiel. dis-je en lui souriant.
Je ne sais pas si ma grimace ressemble à un sourire mais l'intention y est. Je n'ai pas de réels mots à lui dire par rapport à tout cela, mon insouciance ne comprend pas vraiment la gravité de la situation. J'ai mal pour eux, pour cette famille arrivée aux Etats-Unis il y a des années à la recherche d'un eldorado et qui ne l'a pas trouvé. J'ai mal de les savoirs dans un logement si petit pour eux quatre et ne rien pouvoir faire pour eux. Qui suis-je si ce n'est une jeune fille qui débute sa vie d'adulte ?
Alors je me dis que si ça peut les aider, j'irai acheter ce dont j'ai besoin chez eux et pas ailleurs. J'achèterai mes quelques bricoles à cette petite superette. Un paquet de bonbons, un paquet de farine. Mes parents se chargent des courses mais j'ai toujours quelques petits trucs à aller chercher entre deux, alors pourquoi ne pas aider comme je peux ?
- Bonne soirée Shadan.
- A bientôt.
Elle m'embrasse les deux joues et me regarde descendre les escaliers. A l'extérieur le soleil caresse l'horizon et a entamé sa descente. Il fera nuit lorsque je passerai le pas de la porte de chez moi mais cela m'est égal. Je ne m'engouffre pas dans la bouche de métro directement. Je remonte la rue à pieds, serrant fort mon sac contre moi. Le néon clignotant de la superette me tord quelque chose au creux du ventre : Goods & delights.
Je relève la tête et vois Zayd accroupi au sol en train de déballer un carton de boîtes de conserves qu'il dispose impeccablement sur les étals.
Son pull et remonté et laisse des bras entièrement tatoués à découvert. Ses cheveux sont noir jais et bien coiffés. Je ne vois pas son visage et je n'ose l'imaginer. Pas d'arabe à la maison, pas d'arabe dans ta vie, pas d'arabe autour de toi. J'ai grandi avec cette mentalité, avec cette peur de l'inconnu. J'ai grandi avec la peur des attentats, parce que les attaques du 11 septembre sont arrivées peu avant ma naissance et que mon père aurait pu y passer. L'ensemble des Etats-Unis s'est retourné contre cette population qui n'avait rien demandé. J'ai grandi en marchant vite auprès d'eux et à les ignorer. J'ai grandi dans une famille fermée d'esprit et qui ne m'a jamais dit qu'un arabe ne signifiait pas attentat à chaque fois.
Je quitte les lieux, descends dans la première bouche de métro et mets ma musique à son maximum. Shadan est une mère comme une autre, une mère protectrice et reconnaissante pour tout ce qu'on lui donne. La mienne n'est pas ainsi, elle est critique, se croit la meilleure. Elle est gentille mais n'a pas le cœur sur la main. Elle n'a pas de difficultés financières, ne se demande jamais comment elle finira le mois. Mes parents ne s'inquiètent pas pour l'avenir, ni pour demain, ni pour l'année prochaine. Ils ne sont pas riches, mais suffisamment pour s'être payés une maison et me donner de l'argent de poche. Ici, dans le Bronx, peu de personne peuvent donner un dimanche à leurs enfants. La prochaine fois que je me plaindrai, je repenserai à la chance que j'ai d'être où je suis.
Quand la porte claque derrière moi ma mère apparait perchée sur ses escarpins et me demande où j'étais. Je lui mens ouvertement en déclarant avoir passé l'après midi avec des amis. J'ai aussi menti en disant que j'avais abandonné le projet d'aider des familles défavorisées. Je mens beaucoup trop mais j'essaye de trouver ma voie moi-même. S'ils savaient que je rendais service à une famille Pakistanaise dans le Bronx, je serai mise à mort. On me ferait monter sur l'échafaud et on me couperait la tête.
- On t'a laissé à manger dans le four. déclare-t-elle finalement en s'éloignant de nouveau vers le salon, un verre de vin rouge à la main.
Voir l'espace dans lequel nous vivons, grand et immaculé me donne la nausée. Il n'y a de la couleur nulle part, et encore moins dans nos cœurs. Pourquoi vivons-nous ? Le maître mot chez nous est travail. Mes parents ne s'accordent aucune vacance, aucun jour de congés. Ils travaillent d'arrache pieds, ensemble, dans la même entreprise. Ils ne sont pas en manque l'un de l'autre mais moi je suis en manque d'amour.
***
Coucou. C'est nouveau pour moi d'écrire ce genre d'histoires.
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire où à aimer le chapitre si ça a été le cas, ça m'encouragerait beaucoup. :) à bientôt !
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Pas d'arabe à la maison.
Roman d'amourÉlevée par une famille aisée dans la banlieue New-yorkaise Alice n'a jamais réellement réalisé les conditions dans lesquelles certaines personnes pouvaient vivre. Alice n'a jamais côtoyé des personnes à la culture différente. Ses parents, choqués pa...