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26. Boyhood, Girlhood

Prompt : « Allo ? »

« Allo ?

– Je suis devant chez toi.

– J'arrive. »

Ils ont sept et dix ans et ils n'aiment pas le foot. Ils passent l'après-midi à chasser les nuages et à se battre pour les choses les plus stupides, parce qu'ils ne veulent pas parler des choses qui comptent vraiment. Bellamy pense que Murphy ne comprend rien parce qu'il est trop petit, Murphy sait que Bellamy comprend tout de travers parce qu'il est trop grand. Ils se pardonnent d'être trop têtu pour se comprendre et ils continuent à parler à tort et à travers.

« Allo ?

– ...

– Murph' ?

– ...

– J'arrive. »

Ils ont dix et treize ans et ce n'est pas très important parce que petit ou grand, le chagrin se partage à deux et ne laisse pas de place pour les engueulades à deux balles. Il y a des années où l'on se tait pour ne pas briser le silence. Ils ont peur que s'ils cessent de se taire, on entendrait les sanglots dans leur voix. Ils sont forts pour l'autre, ils se chargent du bagage pour qu'ils ne s'effondrent pas, pour que dans le noir on ne voit plus qu'une peine qui n'est pas la leur. Elle est devenue commune. Ils ont tout confondu. Il semblerait que c'est cela qui les a toujours rapprochés, tout confondre. Ils pleurent pour un père qui n'était pas le leur, ils s'endeuillent d'une vie de famille qu'ils n'ont pas perdu. C'est plus facile. Plus dure. Ils souffrent à deux, ils souffrent pour deux, divisent la peine et échangent les larmes.

« Allo ?

– T'es un sale con.

– Bonjour à toi aussi. J'arrive. »

Ils ont douze et quinze ans et quand c'est l'âge des rires et bêtises pour Murphy, c'est l'âge des baiser et des conneries pour Bellamy. Bellamy pense que Murphy est immature et trop jeune pour comprendre ce qui l'attire chez les filles, Murphy sait que Bellamy est trop vieux et trop con pour comprendre que lui s'en fout des filles. Il regarde le brun papillonner et embrasser des blondes et des brunes avec les tripes qui se tordent doucement et une rancœur qui vient remplir la place que laisse son ami en s'éloignant pour des bras plus doux.

« Allo ?

– J'ai fait une connerie. Putain, je suis foutu, merde, merde, merde.

– J'arrive. »

Ils ont quatorze et dix-sept ans, et quand Bellamy retrouve Murphy à deux heures du mat' après une soirée chez Clarke, un gouffre s'est creusé. Le brun détourne le regard et fait mine de ne pas avoir remarqué. Il pense que Murphy est jaloux parce qu'il est trop petit pour faire la même chose. Murphy sait que Bellamy est trop aveugle pour se rendre compte de la vérité. Alors Murphy fout sa théorie en l'air et couche avec trop de fille pour les compter ou pour que ça compte. Son ami ricane de ses conquêtes tous les soirs et le châtain sent son cœur brûler d'orgueil quand il sent l'amertume transparaître de ses rire. Bellamy ne revoit plus jamais Clarke. Il trouve quelqu'un de plus féroce, de plus cynique, de plus Murphyesque, et Écho apparaît, pâle copie, boomerang de la frustration trop éprouvée. Ce n'est pas en écoutant l'écho qu'on comprends la phase entière. C'est pas parce qu'on baise Écho qu'on comprend Murphy. Ou ce qu'on ressent pour lui.

« Allo ?

– A l'huile.

– Prépare tes fesses, j'arrive. »

Ils ont seize et dix-neuf ans et ils ne se voient presque plus jamais. Murphy pense que Bellamy est trop grand pour vouloir trainer avec un gamin comme lui, Bellamy sait que Murphy est trop jeune pour toute les pensées qui lui viennent quand il le voit. S'ils pouvaient, sûrement qu'ils se verraient tous les jours, tous les soirs, sûrement qu'ils vivraient l'un contre l'autre. Mais ils ne peuvent pas, même s'ils ne comprennent pas totalement pourquoi. Ça semble mal. Ils ne sont pas de ce bord-là. Ils ont été élevés bien et droits, et si parfois Murphy est tenté d'outrepasser les barrières qu'il a accepté, Bellamy s'enfuit au plus loin pour ne jamais, jamais, être tenté de franchir les frontières. Murphy est plus que mineur, il est doté de deux couilles. On n'embrasse pas quelqu'un qui a des couilles quand on en a. Murphy pense que si Bellamy en avait vraiment, il l'embrasserait.

« Allo ?

– T'es où ?

– Je suis désolé, imprévu, j'arrive. »

Ils ont dix-neuf et vingt-deux ans et le monde n'a de sens que s'ils restent ensemble, et pour rien au monde ils ne l'admettront. Ils sont fiers, ils survolent le monde et les bars, pas de filles dans leur bras à la fin de la nuit, ils en besoin pour se soutenir jusqu'à leur appart, trébuchant et ivre, heureux. La nuit est remplie d'étoiles et de mots qu'ils chuchotent à demi-mot et oublient le lendemain. Ou qu'ils prétendent avoir oublié le lendemain. Tout est flou, ils voudraient ne vivre que de ça, de flou et d'eux, d'alcools et de leurs regards qui se croisent mais nient tout. Qui parlent et c'est interdit, et c'est stupide, et non, ils ne feront rien, parce qu'ils valent mieux que ça. Mais se regarder et boire, il n'y rien de mal à ça.

« Allo ?

– Je t'aime.

– Ouuuuh, c'était le verre de trop. T'es où ? J'arrive. »

Ils ont vingt-et-un et vingt-quatre ans et leur appartement a changé, ils ont grandi, les filles aussi ont défilés. Se sont amoindris. Ce ne sont plus des femmes qui passent dans la couche de Murphy et quand le brun rentre de manière inopinée, son colocataire le défi du regard d'oser prononcer un mot. Bellamy se tait. Pour la première fois de sa vie, il pense que Murphy est assez grand pour savoir ce qu'il fait. Murphy pense que Bellamy est trop vieux pour continuer à se mentir. Alors les conquêtes se suivent et ils se suivent du regard avec du reproche dans le regard. Les choses se brisent doucement et s'effondrent dans le calme et la rancœur et parfois la paume de Bellamy reste plus longtemps que nécessaire sur le bras de Murphy, et parfois les doigts de Murphy se perdent dans les cheveux de Bellamy et ils attendent en silence qu'un mot vienne trouver son chemin jusqu'à leur gorge. Mais les mots ne sont pas magiques et il faudrait les chercher plutôt qu'attendre qu'ils viennent d'eux-mêmes. Ils boivent, toujours. Il semblerait que ce soit la seule chose qui ne se soit jamais brisé.

« Allo ?

– Viens.

– J'arrive. »

Ils ont vingt-deux et vingt-cinq ans et ils n'ont ni bu ni trouvé de mot quand Bellamy embrasse Murphy parce qu'il est beau, qu'il est con et qu'il est drôle, parce qu'il le déteste et qu'il l'aime et que, quant à tordu, autant l'être jusqu'au bout. Et ils n'ont pas bu et n'ont toujours pas de mots quand Murphy se contente de l'embrasser en retour avant de se servir des pates comme il le faisait quelques secondes avant. Il n'y a pas de feu d'artifice, pas d'explosion, pas de paillettes ou de monde qui tournoie comme ils s'y attendent depuis des décennies, il n'y a pas de grande révélation ni la vie qui se déclique, il n'y a que le bruit de l'horloge et l'odeur de curry parce que Murphy aime la bouffe épicée. Ses lèvres sont douces et il embrasse terriblement bien mais ce n'est ni parfait ni comme un emboîtement de deux pièces manquantes. Bellamy a embrassé Murphy, Murphy a embrassé Bellamy et le monde n'a pas changé, leur cœur bat toujours de la même manière, la journée n'a pas pris de tournant à 90°. Peut-être qu'au fond, c'est que rien n'a changé. Peut-être qu'au fond tout est pareil et ils ont juste joué les aveugles pendant des années, peut-être qu'ils fuyaient une réalité qui s'était déjà installée. Ou peut-être que c'est trop tard, qu'ils ont trop attendu, que tout s'est trop effrité et brisé. Peut-être que plus rien ne marchera. Ils ne savent pas. La seule chose dont ils sont sûres c'est qu'ils sont trop jeunes pour se poser autant de questions et trop vieux pour continuer à attendre. Aujourd'hui ils s'aimeront. Il semblerait que ce c'est ce qu'ils ont toujours fait de mieux, s'aimer.

« Allo ?

– J'arrive. »

–––

Ça fait presque longtemps que j'avais pas écrit un truc triste. Allez, ça fait plaisir. Je l'ai écrit pendant une nuit d'angoisses où j'ai sacrément déliré, ceci explique peut-être cela. 

Je me sens d'humeur nostalgique en ce moment. J'ai envie d'étoiles. Regardez le ciel et faîtes moi un signe :)


30 days to loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant