12-Jess

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 Assise sur le mur de l'allée de garage, je m'efforce tan bien que mal de garder le sourire. Je ne peux pas en vouloir à cette collégienne qui fait le tour de mon scooter avec admiration. Elle examine avec fierté son futur bolide. Son index passe sur les rayures du guidon, souvenir incrusté de la première fois que j'ai voulu le garer sur le parking devant le resto des parents de Sixtine. Puis elle s'attarde sur la bosse à l'arrière, vestige d'une après midi à la plage avec Pauline et Marie où nous avions voulu monter à trois dessus pour aller nous chercher une glace. Ses yeux bloques sur la peinture abimée sur le dessous, celle là je la dois à Tiphanie et à sa théorie de « Bien sur qu'on peut monter les trottoirs à deux dessus » en voulant aller à la fête foraine.

Pour cette jeune fille, ce sont des prétextes pour faire baisser le prix, pour moi ce sont des souvenirs sympathiques qui font de ce scooter mon meilleur allier pour fuir les tensions de chez moi. Son père parle avec ma mère pour remplir les papiers, moi je balance mes jambes dans le vide en m'efforçant d'être le plus poli possible. C'est une vente tout de même, tachons d'être commerciale. Et puis, ce n'est qu'un objet. On est pas sensé s'y attacher autant, même si sa perte signifie que je peux faire une croix sur tout job hors du petit bourg que nous habitons. Étant donné que ce petit bout de vie consiste en une impasse débouchant sur un rond point à une seule entrée et sortie à 6 km de la ville, réunissant trois maisons et deux granges, j'ai comme un doute sur ma capacité à trouver un travail ici.

Je continue de regarder la collégienne qui tente de cacher son sourire grandissant au fur et à mesure que son père abdique. Je pense au chemin qu'ils ont parcourut jusqu'ici. 6 km à travers les bois avant de déboucher sur des pré à vaches avant de trouver la civilisation. Ce rend-elle compte que ce chemin prend déjà 5 minutes en bus et que je ne pourrais surement pas le faire à pied?

Il faut que j'arrête, je n'ai pas à faire subir mon ressentiment à cette petite. Ni à elle, ni à personne d'ailleurs. Il faut changer la courroie de distribution de la voiture de ma mère, elle en a besoin pour aller travailler, elle a besoin de travailler pour payer les facture d'eau, d'électricité, le chauffage, la taxe d'habitation, la taxe foncière... Je détourne les yeux sur la maison qui lui coute si cher. Bien sur que j'aime cette baraque autant que mon père. Moi aussi j'y ai grandit, mon aussi c'est mon foyer, moi aussi je ne voudrais la vendre pour rien au monde, mais je ne peux pas m'empêcher de songer qu'un petit appart en ville nous couterait beaucoup moins cher et éviterait les trajets de ma mère en ville.

Il faut que j'arrête de me plaindre, vraiment. J'ai un toit sur la tête, une jean sur les fesses, un frigo (presque) rempli. J'ai beaucoup plus que certains. Alors pourquoi ce sentiment que ma vie m'échappe? Pourquoi j'ai l'impression que tout ce que j'avais il y a quelques temps me glisse entre les doigts comme de l'eau. J'ai beau tout tenter pour colmater les trous, ça s'échappe, ça court, ça feinte, ça fuit...

La petite route de campagne se voit empruntée par la berline noire de Myriam qui vient se garer dans sa cour. Marc, son mari, sort de la maison, un grand sourire accroché au visage. Je l'aime bien. Il m'a déjà sauvée la vie. Depuis qu'il a repris la pharmacie du vieux Boyer, c'est presque un plaisir d'y aller. Il plaisante toujours, ne fait pas de remarque sur ce que l'on vient chercher et parait content à chaque instant de sa vie. Je garde souvent leur fils, Léo. Il tient sa joie de vivre de lui. Il a les mêmes yeux. La seule différence, c'est leur éclat. J'ai remarqué que le regard de Marc se décorait d'étincelles à chaque fois qu'ils aperçoivent sa femme. Dès qu'elle apparaît, ils s'illuminent, c'est instantané. Puis ils remontent, légèrement, poussés par son sourire grandissant. Ça doit être ça être amoureux. J'aimerai bien que quelqu'un me regarde comme ça un jour. Pour Léo, ses yeux sont encore plus magiques parce qu'ils brillent ce cette façon en permanence, ils se chargent d'étoiles devant un cookie, une boite de jeu de société, une nouvelle peluche, une glace ou un DVD. Il faut dire qu'il n'a que 4 ans. J'espère qu'il gardera cette innocence toute sa vie.

Dix minutes par jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant