15- Amelia

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Il est 11h un samedi matin, je suis toujours dans ma chambre alors que ça fait bien 4 heures déjà que je suis réveillée. Je regarde le profil Facebook de Rémi. J'espère y trouver des nouvelles. De Sami, de Daniel, n'importe quoi qui me dirait comment ça se passe là bas. Sauf que son dernier post est un selfi avec un joueur de foot que je ne connais pas qui date d'y a trois mois. J'avais oublié que Rémi n'était pas un grand adepte des réseaux sociaux.

Je fixe pourtant cet écran qui ne me donnera pas de réponses en faisant tournoyer mon portable dans ma main. Je connais son numéro par coeur. Je pourrais l'appeler, je suis certaine qu'il répondrait. Mais je ne peux pas. Je ne sais pas exactement si c'est parce que je lui en veux encore de ce qu'il m'a fait: m'envoyer ici, me cacher ses conversations avec ma soeur, s'être mêlé de ma vie sans que je ne lui demande rien, ou si c'est la honte qui me retient. La honte d'avoir pourri la vie de tout le monde, celle de Daniel, de Myriam et même de ce mec que j'ai planté et dont on ne m'a pas donné de nouvelles non plus. Certes c'était un gros connard de mes deux, mais est-ce que le fait qu'il ait suivit les ordres d'un gars dont il avait peur méritait de se prendre une larme?

Pfff, trop de questions. Je balance mon portable sur le lit et me décide à sortir de ma chambre, vêtu de mon seul bas de jogging et d'une brassière de sport. Je découvre Jessica dans le salon, en train de jouer avec Léo. Elle est toujours là cette meuf, où que j'aille: dans le bus, au lycée, dans la maison d'en face et maintenant dans le salon, comme si le destin voulait absolument qu'elle skoite ma vie.

— Qu'est-ce que tu fous là? je demande en descendant la dernière marche.

Elle a un temps d'arrêt en relevant la tête, comme si elle n'avait jamais vu une fille en pyjama. Elle cligne deux fois des yeux et se met à fixer les miens.

— Je suis la nounou de Léo. J'ai demandé à ta soeur de faire plus d'heures. Ce qui l'arrangeait puisque ce jeune homme n'aime pas le centre de loisirs.

Elle agite une poupée Barbie, copie parfaite d'elle même en miniature, sous le nez du petit qui se met à ronchonner.

— C'est pas ma faute, dit Léo. Les autres ils m'embêtent.

Je me dirige droit vers la cuisine, j'ai grand besoin d'un café.

— Casse leur la gueule, je propose à mon neveu.

— N'écoute pas ce qu'elle te dit, la violence n'a jamais rien résolu, rétorque la poupée grandeur nature.

Manquait plus que ça, miss plastique est une hippie en plus. Je déteste les gens comme ça, qui n'ont jamais eu assez de problèmes pour comprendre que des fois, la violence est la seule option.

Je tente de faire marcher la machine à café à dosettes mais ils ont tellement choix que je ne sais pas quoi choisir. Chez Daniel on avait une machine normale. Tu remplissais l'eau, un filtre, 4 cuillères de café en poudre et t'avais ce qu'il te fallait pour la journée. Mais non, ma bourge de soeur préfère les dosettes, se foutant des déchets. Tiens, Barbie hippie pourrait lui en parler.

Je sens son regard sur moi. Je lui tourne le dos et pourtant je sais que ses yeux me scrutent. Qu'est ce qu'elle cherche? Des tatouages pour faire vraiment rebelle? Et doit pas connaitre le prix que ça coute. J'ai autre chose à faire de mon fric que de me faire graver des conneries sur la peau. Elle n'arrête pas, et j'aime pas ça. Est-ce qu'elle me mate ou elle se fout de moi? Je regarde mon ventre dénudé, au cas où. Bon, je n'ai pas d'abdos, mais j'aime autant, ça fait mec sur une fille je trouve, ce n'est pas franchement séduisant, mais j'ai un vendre plat, c'est déjà ça. Et des épaules, je suis assez fière de mes épaules, fruits de deux hivers à changer des pneus au garage. Bref, je ne suis pas si mal foutue que ça, pourquoi elle fait ça? Son regard est si oppressant que j'ai l'impression qu'il se pose littéralement sur moi, qu'elle me touche. J'ai horreur de ça.

— Qu'est-ce que tu regardes, je m'énerve?

— Rien, désolée.

Elle baisse la tête sur la garde robe des jouets de Léo et rougit. C'est là que je réagis. J'ai bien pire qu'un tatouage dans le dos. J'ai des cicatrices, cadeau des coups de ceinture de mon père et de la cigarette qu'il a écrasé sur mon épaule le jour où Myriam s'est barrée. Je remonte le temps que mon café coule dans la tasse et met un T-shirt.

Alors que je tente de siroter ma tasse tranquillement sans me préoccuper de ce que peut faire la blonde qui fait tellement rire Léo, un énorme bruit retenti dehors, suivit d'un bip bip caractéristique du camion qui recule. Sans s'être concertés, tous les trois nous approchons de la fenêtre de la cuisine.

Marc, dans la cours, fait de grands gestes à destination du chauffeur d'une dépanneuse qui est en train de faire glisser une voiture sous l'appentis du garage. Mais qu'est-ce qu'il glande encore ce con?

On sort, tout les trois toujours, pour comprendre le pourquoi du comment. Marc se retourne vers nous, un sourire triomphant sur le visage, il lève les deux bras en l'air en criant un « tadam! » victorieux. Je rêve, ce gars a du fric en trop, c'est pas possible. C'est à moi qu'il sourit. Après l'ordinateur et le portable, il m'offre une voiture? Je lui ai dit hier que je n'avais besoin de rien et c'est comme ça qu'il a compris? En plus paye ta voiture... Une épave de 204.

— Encore un cadeau, je demande retissante?

— À vrai dire, c'est un cadeau pour moi, répond-il. C'était la voiture de mon grand père, celle qu'il sortait les jours d'été pour m'amener faire un tour. C'est là dessus que j'ai appris à conduire! Elle est en panne depuis... Au moins 20 ans.

— Vous avez appris à conduire à 14 ans, demanda Jessisa?

Il mit un doigt devant sa bouche.

— Chut... On allait sur des petits chemins, personne ne nous voyait... Bref, ça fait longtemps que je veux la retaper, mais je n'ai pas le temps. Sans compter que je n'y connais rien en mécanique.

— Il préfère les livres, dit la blonde clairement pour moi sur un ton cinglant.

Marc s'approche de moi, il tend le bras, il va poser sa main sur mon épaule. Juré, s'il fait ça, je lui démonte la clavicule. Heureusement pour lui, il se ravise au dernier moment.

— J'ai pensé à ça cette nuit. Ma chère Amelia, comme je vois que tu es aussi têtue que ta soeur et que tu ne veux pas que je « t'entretienne » comme tu l'as gentiment dit hier, j'ai trouvé un moyen de te faire gagner de l'argent.

— Tu veux que je retape ton épave?

— Exactement. Je paie pièces et main d'oeuvre. Enfin, tu serais gentile de me faire un prix d'ami quand même...

Je le regarde suspicieuse. Je ne sais pas comment le prendre. Je crois qu'il essaie vraiment d'être sympa avec moi, de m'intégrer dans cette maison, de me prendre sous son aile... Le problème, c'est que je ne comprend ce qu'il y gagne dans cette histoire. Je me méfie. C'est lui qui a convaincu Myriam de venir me chercher, lui qui s'occupe que je ne manque de rien, même de ce don je n'ai pas besoin. C'est plus que louche.

Je m'approche tout de même de la voiture. C'est une 204 cabriolet deux places de 1970. La première traction de la marque, celle avec le tableau de bord à cadrans ronds. Elle n'est pas dans un état si pitoyable que ça en fait. C'est une vieille caisse, mais j'aime bien ce modèle, avec son capot long et ses courbes douces, on dirait presque une américaine de l'époque, version miniature. Je passe ma main sur la peinture beige piquetée de pointes de rouille pour ouvrir le moteur. C'est un XK5 essence de 59 chevaux. Vitesse max de l'engin, 140 km/h, en descente, le vent dans le dos. C'était pas mal pour l'époque. Je jette un coup d'oeil dessous. Faut changer tout le pot d'échappement, de la pipe au silencieux. Les soufflets de cardans sont morts, ça doit être la même pour les cardants eux mêmes. Les disques de freins sont carrément fendus. Je n'ose pas imaginer ce qu'il en est du moteur. Mais je peux réparer ça. À vrai dire, j'en ai furieusement envie. Puis ça me fera un peu de fric. Aller, vendu. 

Dix minutes par jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant