24-Jess

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 À table dans le réfectoire du lycée, Tiphanie, Marie et Pauline déblatèrent de la couleur d'un vernis assorti aux yeux de je ne sais plus laquelle. Sixtine, elle, pianote dur son portable, ne s'intéressant pas le moins du monde à ce qu'il se passe autour d'elle. Moi, je me moque royalement de tout ce qui peut se passer à cette table. Mon attention toute entière est portée sur une autre tablée, à l'autre bout du self.

Amelia est assise avec Benjamin, Hilena et Pollux. Ce dernier raconte quelque chose qui a l'air de les faire rire, tous. Je suis un peu jalouse. Je ne sais pas exactement de quoi. Je pense que j'envie leurs relations entre eux. Ils sont amis, vraiment amis. Ce ne sont pas juste de vagues connaissances qui partagent le même repas de midi au réfectoire, des personnes que l'on côtoie au lycée et qu'on ne reverra jamais par la suite, ou seulement quand on se croisera aux vacances de Noël.

Non, ils s'aiment tous, et ça se voit. Hilena s'est attachée à Amelia et réciproquement. Ça n'a rien à voir avec la relation qu'elle entretien avec Morgane. Elles ne sont pas meilleures amies mais elles partagent une amitié sincère. Elle ont une drôle de complicité, à base de vannes et de moqueries, mais je suis certaine que si l'on s'attaquait à l'une ou à l'autre, elle serait vengée.

Quand à Benjamin, il a beau ne rien dire, de toutes façons il ne parle que rarement, il a ce regard protecteur sur Amelia qu'il avait pour moi il n'y a pas si longtemps. Il apprécie leur amitié. Je pense même qu'il s'inquiétait du départ de Morgane à la fac. Il devait avoir peur qu'Hilena retourne vers ses démons, qu'il n'arrive pas à tout gérer tout seul. Mais non, Amelia est là.

Même Pollux, depuis la finale de l'an dernier, est beaucoup plus proche d'eux. C'est peut-être la ligue contre Julien, je n'en sais rien. En tout cas, maintenant, il passe beaucoup de temps à cette table. Ce gros balourd, brute de décoffrage, un peu ours, les fait rire de bon coeur, alors que moi, à ma table, je m'ennuie ferme. La seule personne de qui je me sens proche ici préfère son portable à une conversation avec moi. Et elle y est collée à son portable, alors qu'à moi, elle ne me répond pas.

— Bleu, répond Pauline, c'est de loin le mieux si tu veux te faire les ongles de pied assorties.

Je lève les yeux au ciel de l'absurdité de leur badinage...

À l'autre bout de la salle, Hilena me regarde et sourit. C'est bizarre, ça ressemble à un sourire sincère plutôt qu'aux sadiques qu'elle m'envoie habituellement.

Julien interrompt mon observation en tirant la chaise à côté de la mienne et dépose son habituel baiser sur mon front avant de s'assoir. Quand je regarde à nouveau vers l'autre table, le sourire d'Hilena a disparut.

— Vous faites quoi vendredi pour les vacances, demande Julien?

— Je travaille, répond Sixtine qui a enfin posé son téléphone.

— Il parait que Morgane Cheminade revient chez ses parents et qu'elle organise une soirée, renchérie Marie.

— Soirée à laquelle on ne sera pas conviées de toute façon, rétorque Sixtine.

— Et bien moi je m'en fiche, la reprend Tiphanie. Je ne l'ai jamais aimé, elle me parait encore plus snob depuis qu'elle sort avec un gros. Elle regarde le monde en miss parfaite, comme si elle faisait preuve de charité en sortant avec un cageot. Non mais pour quoi elle se prend. On ne va pas la glorifier sous prétexte qu'elle est riche ET généreuse.

— Et belle, intelligente et drôle en plus de ça, s'amuse Pauline. C'est vrai, pour qui elle se prend?

Elle ajoute un clin d'oeil à mon attention parce qu'elle sait aussi bien que moi à quel point Tiphanie est jalouse de Morgane et que oui, cette fille peut se permettre de faire la Miss Parfaite puisqu'elle EST parfaite en tout point. Même moi qui la déteste et la jalouse je ne peux le nier.

À la fin du repas, alors que les filles se dispersent dans le couloir, je retiens Sixtine par le bras. Et discrètement, je lui demande à qui est-ce qu'elle peut bien envoyer tant de messages. Je suis certaine que c'est un de ses nouveaux potes plus âgés, mais j'aimerai plus de détails.

Mon amie se pince les lèvres et regarde ailleurs. C'est certain, elle me cache quelque chose. Après une longue hésitation, c'est à son tour de me tirer par le bras pour m'amener dans les toilettes des filles. Elle prend le soin de bien vérifier que toutes les cabines sont vides avant de parler.

— Si je te parle de quelque chose, tu me jures de le garder pour toi?

Je suis un peu vexée de la question. Bien sur que je le garderai pour moi, c'est Sixtine, la meilleure des amies, celle à qui je confirai ma vie. Je répond d'un hochement de tête.

— J'ai rencontré quelqu'un, avoue-t-elle enfin.

Je fais mine d'être surprise alors que j'ai envie de lui rire au nez en répondant « sans blague ». Je la laisse continuer son récit.

— C'est... Un truc de dingue. Je n'ai jamais ressenti ça avant. C'est comme si... Si tout une part de moi avait toujours été là, enfoui, que je n'en avais aucune idée et qu'elle apparaissait enfin au grand jour. Comme si j'étais enfin moi, tu vois? Comme si... J'avais toujours su qu'elle était là, mais que je n'aurais jamais songé à ce qu'elle puisse s'épanouir. Et c'est... Grisant. Tu comprends?

Oh que oui. C'est exactement ce que je ressens à chaque fois que je croise le regard d'Amelia, mais ça, je ne l'avouerai jamais à personne.

— Je comprend, dis-je en souriant sincèrement. Et tu n'as pas idée à quel point je suis heureuse pour toi.

Elle me sourie à son tour, contente de voir que je la soutiens, ça me réchauffe un peu le coeur. Mais lorsque je demande quand est-ce que je pourrais rencontrer ce garçon aussi extra-ordinaire, elle se referme totalement.

— Pas tout de suite. Je veux le garder pour moi, dit-elle. C'est tellement cool que... J'ai pas envie de le partager tu comprends.

Je conçois beaucoup moins d'un coup mais fait semblant. Je ne peux pas lui reprocher d'avoir des secrets quand moi même, j'en ai encore... Elle me remercie en me serrant dans ses bras et quitte les toilettes. Je reste un peu sur ma faim mais me console. Au moins, elle m'en a parlé, un peu.

Dix minutes par jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant