23- Amelia

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— C'est juste une erreur de jeunesse. C'est pour ça qu'on n'autorise pas les mineurs à se faire tatouer sans l'autorisation des parents.

Je réitère ma question, tournée différemment.

— C'est un signe chinois. Qu'est-ce qu'il veut dire?

J'ai parlé plus sèchement que je ne le voulais, mais ce n'est pas de ma faute. Quand je l'ai reconnu, j'ai comme bugger.

— Ça veut dire « soeur ». Enfin c'est ce qu'il y avait écrit sur google, si ça se trouve ça veut dire soupe ou un truc comme ça.

Là, je sors de mes gonds. Elles se foutent de moi, toutes les deux.

— Tu peux m'expliquer pourquoi Hilena a le même? Pourquoi elle appelle ça une cicatrice? Pourquoi elle te traite de connasse et toi de salope alors que visiblement, passé un temps, vous étiez « soeur »?

Jess se relève et passe ses mains sur sa robe pour la défroisser.

— Je ne vois pas pourquoi ça te mets dans un état pareil.

— Parce que ma seule pote et la meuf que je kiffe se foutent de ma gueule! Vous me dites que vous êtes sincères avec moi mais vous me cachez une partie importante de votre vie! J'ai l'impression d'être qu'un jouet pour vous avec lequel on ne prend pas la peine de tout lui raconter puisqu'on va le jeter quand on aura fini de s'amuser avec!

Elle recule d'un pas, pose les mains sur les hanches et se mets à sourire comme une débile.

— La meuf que tu kiffes?

Elle veut me voir péter un boulon, ce n'est pas possible, elle veut que je m'énerve pour de bon.

— Joue pas à ça Jess! Explique moi!

J'ai crié, plus fort que je ne le voulais, tellement fort que ça a résonné dans toute la vallée.

Jess se rassoit, baisse la tête et commence son récit.

— Avant que ta soeur et sa famille emménage, cette maison, c'était celle d'Hilena et de ses parents. Ma deuxième maison. On a grandit ensemble, dans le même parc, à jouer aux mêmes jeux, avoir les mêmes cadeaux de noël pour qu'on arrête de les échanger... C'était ma soeur, vraiment. Quand ses parents sont décédés et qu'elle a dû emménagé chez sa tante Alexia, elle s'en voulait de nous séparer et nous a demandé ce qu'on voulait. On a demandé ce tatouage.

Je m'assois à côté d'elle. Je m'en veux un peu d'avoir hausser le ton maintenant que je la vois au bord des larmes, mais elle ne m'a pas tout dit pour autant.

— Et comment passe-t-on de soeur à pires ennemies?

Elle pose son regard au loin sur les étoiles qui jonchent le sol.

— T'as déjà eu la sensation, quand un événement arrive, que tu as toujours su qu'il allait se produire mais que tu en es tout de même surprise? Genre un verre qui est au bord d'une table branlante. Tout le monde passe à côté, frôle la table qui se met à bouger, le verre vacille mais tient. C'était un peu ça. Je savais que ça ne pouvait pas durer, que notre relation était trop parfaite pour être éternelle. Puis un jour, le verre est tombé. Il s'est brisé sur le sol et je me suis dit « à tiens, c'est le moment que je redoutais, ça y est, on y est. »

— Tu me parles en chinois, j'avoue.

Elle reprend sa respiration comme si elle s'apprêtait à combattre une meute de loups.

— Mon premier petit copain, Simon, j'en étais folle amoureuse, vraiment. Mais je ne voulais pas coucher avec lui non plus parce qu'on était beaucoup trop jeunes. Hilena me rassurait, tous les soirs au téléphone, elle me répétais que j'avais raison, de l'envoyer se faire voir, que s'il ne comprenait pas c'était qu'il était crétin. Je lui confiai tous mes doutes, toutes mes peurs, et elle me rassurait. Elle était là pour moi, mon éternel soutient. En fait, elle se le tapait derrière mon dos. Je l'ai appris par des sports études qui récitaient un numéro de téléphone que je connaissais par coeur et qui appartenait au plan cul de mon copain. C'est plus qu'un verre qui s'est brisé ce jour là, c'était mon âme. Comme si quelqu'un l'écartelait. Ça fait encore mal, tous les jours. Puis est arrivé Benjamin. Ben, le mec parfait, beau, gentil, drôle, intelligent... Je suis tombée amoureuse de lui la première fois qu'on s'est parlé, mais lui ne voyait que par Hilena. Je me suis fait une raison, avec difficulté j'avoue, mais je pouvais comprendre. Elle sait charmer son monde après tout, moi aussi je l'avais aimé. Un jour, ils ont rompu, j'étais aux anges. J'ai tenté ma chance.

Je retiens une légère envie de vomir à l'entendre parler de Ben comme ça mais la laisse continuer son récit.

— Et après des mois à en rêver et des shooters de tequila dans le nez, j'y ai enfin eu le droit, à mon premier baiser de Benjamin Dubois. À peine une heure plus tard, il sautait d'une falaise avec Hilena.

— Quoi! je l'interrompt.

— C'est pour ça qu'elle boite. Ces crétins, voulant prouver au monde que leur amour était plus fort que tout, on sautait d'une falaise. C'est un miracle qu'ils s'en soient sortis vivants.

Oula, ça en fait plus à enregistrer que je ne l'avais prévu. Mais ça me parait minime qu'elles aient foutu en l'air un relation pareil pour des conneries.

— C'est tout? je demande.

— C'est tout? Elle m'a trahis, elle m'a volé les deux seuls mecs que j'ai jamais aimé, et elle a voulu m'enlever le peu d'espoir qu'il me restait. Tu te rends compte que j'aurais pu les perdre tous les deux ce jour là? Ben et les seuls bons souvenirs qu'il me reste.

Je prends du recule pour mieux la considérer.

— Tu te rends compte de l'égoïsme de ce que tu viens de dire? Ils avaient une relation que tous le monde pourrissait au point qu'ils ont préféré tenter de mettre fin à leur vie plutôt que de devoir subir les critiques des autres. Et toi, tu leurs en veux, alors que tu étais la première à les pourrir!

Elle se relève du banc et se crispe de colère.

— Ce n'était pas une tentative de suicide, c'était juste pour faire du zèle! Il faut toujours qu'elle soit le centre de l'attention. Elle ne supportait pas qu'il puisse en avoir quelque chose à foutre de moi. J'étais là pour elle! J'ai tout fait pour l'aider à la mort de ses parents! Elle était tout pour moi! Elle était ce qui ressemblait le plus à une famille! Mais elle, elle veut juste me pourrir la vie. Elle veut me punir pour je-ne-sais-quoi. Je méritais pas ce qu'elle m'a fait!

Je croise les bras, résignée. Ce n'est peut-être pas qu'une carapace cette attitude de blonde superficielle.

— Jessica. Tu as deux parents, une belle baraque, un tas d'amis, tu ne manques de rien... Et toi, tu reproches à une orpheline d'avoir baisé ton premier mec et d'être tombée amoureuse du deuxième... T'es juste une enfant pourrie gâtée.

Je me prend une baffe. Celle là je ne l'avais pas vu venir. J'ai réussi à lui faire péter une durite.

— Tu ne sais rien de ma vie Amelia! Et je ne t'autorise certainement pas à la juger alors que tu ne parles plus à ton meilleur pote sous prétexte qu'il a fait ce qu'il y avait de mieux pour toi.

Ok, là, elle me gonfle.

— Vas te faire foutre!

— C'est ça, dégage!

C'est fini, je ne veux plus jamais entendre parler de cette pétasse blonde.

Dix minutes par jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant