21- Amelia

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Cela fait bientôt une semaine que je joue à ce que j'ai appelé « faire semblant de faire semblant ». Je m'amuse à provoquer Jess dans mes messages en faisant style de la draguer. Elle sait que c'est faux, mais jusqu'à présent ça la rendait mal à l'aise mais depuis hier, elle en rie et rentrerait presque dans mon jeu, ce qui me désarçonne et elle le sait. Voilà pourquoi, en ce vendredi matin, j'ai décidé qu'elle ne gagnerait pas à ce jeu là, et je compte bien m'amuser en direct, sans l'intermédiaire d'un écran d'ordinateur entre nous.

Le but étant de vraiment la déstabiliser, parce que, j'avoue, j'adore voir madame sainte ni touche se tortiller de malaise, je mets le paquet. Ça commence par un bon quart d'heure à choisir mes fringues (j'avoue, j'ai piqué un chemisier blanc bouffant à ma chère soeur, ainsi, peut-être, éventuellement, un jean slim taille haute), puis un autre quart d'heure à organiser mes cheveux (huile comprise) pour obtenir de belles boucles brunes et un minimum de maquillage (on s'en tiendra à un coup de crayon noir et un peu de mascara, il ne faut pas exagérer non plus).

Mais alors que je descend les escaliers pour aller prendre mon petit déjeuné, Myriam ouvre grand les yeux, Marc manque de s'étrangler avec son café et le petit Léo reste littéralement bouche bée, incapable de la refermer malgré les céréales qu'il a enfourné dedans. Je m'assois à côté de lui et prend le café que m'offre Marc avec un regard suspicieux. Léo finit par enfin avaler ses céréales et me dit d'un ton très sérieux.

— Tu es très belle Tata.

Ce petit saura y faire avec les filles. Sa mère me regarde à peine et se toune vers l'évier pour nettoyer sa tasse. Son mari, lui, choisit de mettre les deux pieds dans le plat.

— Tu t'es fait belle pour un garçon?

— Ça ne risque pas, je suis lesbienne.

Ah, ça y est, il s'est étranglé avec le café. Moi aussi, je sais mettre les deux pieds dans le plat.

— Ça veut dire quoi lesbienne? demande Léo.

Myriam, qui nous tourne toujours le dos, tape si fort la tasse dans le fond de l'évier qu'elle manque de la casser. Je peux voir son état d'énervement grandir rien qu'en observant ses épaules se contracter. Marc daigne répondre à son fils.

— Ça veut dire que Tata aime les filles.

Le petit prendre une pose de réflexion. Une fois encore, littéralement. Il se met à regarder en l'air en mettant son index sur son menton. Il pourrait être un dessin animé à lui tout seul. Puis, après une bonne minute, il me regarde et me répond texto.

— Moi aussi.

Il a tout compris à la vie. Je tend la main pour le félicité, il tape dedans en me faisant un clin d'oeil. Y a pas à dire, il a de l'avenir ce gosse.

— Va te brosser les dents Léo, nous interrompt Myriam, on va être en retard à l'école. Et dépêche toi, toi aussi, rajoute-t-elle pour moi, Jess est déjà dans le bus.

Je jette un oeil pour le hublot de la porte, et en effet, pour la première fois de sa vie, Jess est à l'heure. Je prend mon sac dans l'entrée et me précipite au dehors. Quand j'entre dans le bus, la blonde et le lourdeau de chauffeur ont un temps d'arrêt. Ça va, je me suis pimpée un peu, on va pas en faire une maladie.

— Qu'est ce que tu fais, demande Jess en panique totale?

— Je me mets à côté de toi pour notre trajet de 5 minutes en tête à tête.

Le bus démarre, mon jeu aussi.

— C'est bien mignon les conversations sur Facebook mais je préfère te parler en direct live. C'est plus... charnelle.

J'ai accompagné cette phrase d'un haussement de sourcils et là fut mon erreur. Elle comprend tout de suite où je veux en venir, elle sait à quoi je joue, et en un instant, la panique sur son visage se transforme en un sourire machiavélique. Je sens qu'elle va me la faire à l'envers.

— Mais je t'en pris Amy, installe toi convenablement, mets toi à l'aise.

Chiotte. Les petits noms, ça va me mettre dedans. Je ne me démonte pas, m'appuis sur l'accoudoir et pose mon genou sur le sien, l'air de rien. Je pense avoir gagner une manche mais elle pose sa main sur ma cuisse et là, surprise, ça me fait beaucoup plus d'effet que prévu.

Oula, on ne va pas faire ça Amelia, on ne va pas commencer à s'enticher d'une hétéro, qui plus est blonde, pouf et en couple. Tiens, en parlant de ça, j'ai de quoi marquer quelques points.

— Ton mec serait sans doute content si il savait que tu caresses la jambe de quelqu'un d'autre.

— Mon mec serait aux anges s'il me voyait tripoter une autre fille.

— Tripotter? je répéte. Il est peut-être un peu tôt.

— Ou trop tard, s'amuse-t-elle à me repousser quand le bus s'arrête. C'est là que monte ta grande copine Hilena.

Ok, je lui accorde cette manche. Je me relève et vais m'assoir au fond du bus. Hilena me rejoint, très surprise, mais pas par mon look.

— Je n'ai pas rêvé, dit-elle en s'assaillant, tu étais bien en train de parler à Jessica?

Le bus redémarre et je ne peux m'empêcher de regarder son mec s'installer à la place que j'occupais à peine une minute plus tôt. Elle l'embrasse, le caresse, et je me rend soudain compte que non seulement elle s'amuse de moi, mais qu'en plus elle va me faire mal. Il faut absolument que j'arrête avant de perdre des plumes, je n'en ai pas assez pour me le permettre.

— C'est juste ma voisine.

Une ombre passe sur le visage de mon amie.

— Tu habites en face de chez elle?

J'opine de la tête, ses traits se durcissent.

— Quelle chambre?

— La plus petite, je ne suis même pas sûre qu'on puisse considérer ça comme une chambre.

Je ne comprend pas ce que ça peut lui faire.

— Tu y es heureuse? Dans cette maison, je veux dire.

C'est la première fois qu'Hilena me parle aussi sérieusement.

— Je ne pense pas qu'un jour je pourrais utiliser l'adjectif heureuse pour me qualifier, et je déteste vivre dans la famille de ma soeur, mais j'ai connu bien pire. Pourquoi?

— Pour rien.

Elle se referme instantanément et sort son carnet à gribouillage. Je m'apprête à remettre mes écouteurs quand elle relève la tête. Elle aussi observe Jess et son copain. Peut-être qu'elle est secrètement amoureuse d'elle. Peut-être que le beau rugby man n'est qu'une diversion pour compenser une attirance maladive pour les belles blondes, qui sait.

— Tu sais si ça se passe bien entre elle et Julien? demande Hilena d'une voix inquiète.

De ce que je sais, ce con lui met la pression pour coucher, du moins c'est ce qu'elle m'a dit par message, mais ces confidences là, je n'ai aucun droit de les dévoiler.

— Non, je mens.

Elle se mord la lèvre inférieure, comme si elle se retenait de dire un truc. Puis, après avoir fixé le couple de tourtereaux un long moment, elle lâche enfin:

— Jess est une connasse, mais son mec est pire. Si il devait y en avoir un des deux qui souffre, je ne voudrais pas que se soit elle.

Elle finit par se tourner vers moi et déclare d'une voix solennel en me fixant dans les yeux:

— Si tu entendais quoi que ce soit, promets moi d'intervenir.

J'en reste sur le cul. Je ne sais pas quoi en penser. C'est la première fois que je vois Hilena aussi sérieuse. Non seulement elle me fait assez confiance pour me confier une mission, mais en plus, ça concerne Jess et sa défense. Je me contente de promettre sans en demander plus.

Dix minutes par jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant