20- Jess

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Les injures fusent à l'étage inférieur. Mon père n'a pas rebu une goute d'alcool depuis le fameux incident. Il a dû se faire peur à lui même. Ça n'empêche pas les disputes. Sujet du jour: le carrelage. Ma mère crie qu'il pourrait au moins entretenir la maison, qu'il va faire couler notre famille, il lui rétorque qu'il cherchait du boulot et qu'il n'avait pas le temps de jouer à la bonniche. Alors comme chaque soir, je me suis réfugiée dans ma chambre.

Je regarde par la fenêtre le velux d'Amelia en face. Elle n'allume jamais la lumière, la pièce est juste éclairée par les rayons bleutés qui émanent de son écran d'ordinateur.

Ce qui est sa chambre aujourd'hui, c'est l'ancien bureau des précédents occupants. Je la connais bien alors qu'en théorie, les enfants n'avaient pas le droit d'y aller. Mais je me souviens que dans le premier tiroir du haut, il y avait toujours des chocobons. On faisait des missions commando pour aller les chercher en douce. Maintenant que j'y pense, on était loin d'être discrètes puisque tous les mercredis après-midi, lorsqu'ils me gardaient, une nouvelle poignée de chocobons apparaissaient comme par magie. Ils me manquent, tous.

Amelia est connectée. Normalement, c'est toujours elle qui engage la conversation, mais ce soir, rien. Ça fait un mois qu'on se parle tous les soirs. Ces conversations me font du bien. C'est un peu comme une bouée de sauvetage qui me maintiendrait à flot dans le brouillard qui m'entour. Alors, pour une fois, c'est moi qui attaque.

Jess: Tu aimes les chocobons?

Amy: Trop écoeurants. Je préfère les M&M's.

Je souris sans le vouloir. Il faut toujours qu'elle me contredise. Elle ne relance pas la conversation pour autant. Ce n'est pas normal, quelque chose cloche.

Jess: Ça va?

Amy: Bof.

Je m'en doutais. Je ne comprend pas bien ce qu'il se passe en moi. Quand je la croise dans les couloirs du lycée, à cogner tout ce qui croise son regard et à se la jouer « on est différent de vous pauvres moutons » avec Hilena et Benjamin, j'ai envie de lui mettre des tartes. Elle refuse de faire parti de cette école, elle se croit au dessus, elle regarde le reste du monde comme s'il était dans un environnement hostile constamment et ça m'agace. Mais la fille avec qui je parle le soir, la Amy 2.0, celle là m'importe. Je n'ai pas envie qu'elle se sente mal. Je voudrais l'aider comme elle l'a fait pour moi.

Jess: Raconte.

Amy: T'aimerais bien hein ;)

Ce qu'elle est chiante à se croire intéressante.

Jess: Tan pis pour toi, t'aurais pu avoir un récompense en parlant un peu de toi.

Amy: Un streep tease à la cam?

Jess: Dans tes rêves.

Amy: Dommage.

Je rougis. J'y crois pas. Je suis sexy, du moins j'essaie. C'est mon masque à moi face à l'adversité. Si les mecs te trouvent bonne, ils ne se moquent pas de toi. Faut faire attention à ne pas se faire briser le coeur, mais pour ça, je suis tranquille. Je n'en ai pas, de coeur. Alors pourquoi, alors que je m'efforce chaque jour de paraitre jolie et qu'on me le dit à longueur de temps, quand c'est la Amy du net qui parle, ça me fait rougir? Je suis presque sure que si elle me disait ça en vrai, je lui cracherai dessus.

Jess: Aller, miss Besoin-de-personne, dis à tata Jess ce qu'il se passe.

Amy: Tata? Vu les films que je me fais quand je te vois te déshabiller derrière tes rideaux c'est pas au mot « tata » que je pense.

OK, note à moi même, éteindre la lumière quand je me met en pyjama.

Jess: Voyeuse.

Amy: Allumeuse.

Jess: Pétasse.

Amy: Pétasse que t'aime bien maté aussi avoue.

Une fois encore, je rougis. Je ne suis aucunement attirée par les filles. Ça m'est déjà arrivé d'embrasser une copine, mais j'avais 13 ans et c'était juste pour nous entrainer. Mais je dois avouer qu'Amelia est... Très jolie. Avec sa peau brune, ses longs cheveux bruns qui descendent en cascade sur ses épaules... Bref.

C'est peut-être arriver une fois ou deux, que je la regarde plus que nécessaire. En même temps c'est pas de ma faute si tous les samedi matins elle descend à moitiés dénudée de sa chambre. Elle le fait surement exprès. Elle me connait mal le petite si elle croit que son ventre plat et son dos musclé me font de l'effet. Je crois qu'elle ne se rend pas compte que je n'éprouve plus rien, sentimentalement parlant.

Jess: Très bien. Reste mystérieuse. Je vais aller maté des mecs sur le net, ils sont tellement mieux bâtis.

Je vois les trois petits points danser en bas de la conversation. Soit elle me renvoie une vanne, soit elle joue le jeu. En cas de première option, j'appellerai Sixtine pour occuper ma soirée. Elle est bizarre en ce moment, j'ai l'impression qu'on s'éloigne et je n'aime pas ça du tout.

Amy: J'ai un copain qui vient de sortir du coma. Il ne remarchera sans doute jamais.

Jess: Oh. Désolée.

Amy: Pourquoi tu t'excuses? C'est pas toi qui l'a tabassé jusqu'à lui exploser la colonne vertébrale.

Jess: C'est toi?

Je n'ai pas pu retenir ma question. Je l'ai vu frapper un mec pour un simple mot de travers cette après-midi. Ça fait un petit moment que j'assiste aux crises de nerfs de la Amy de la journée. J'avoue que c'est assez flippant.

Amy: Non.

Je suis rassurée et en même temps je m'en veux. J'aurais pas dû supposer ça, je suis une gourde. Je ne vois pas comment me rattraper. C'est elle qui le fait.

Amy: Mais je n'ai rien fait pour l'empêcher.

Jess: On est pas responsable des bêtises des autres. On ne peut pas les empêcher de faire leurs propres erreurs. Il faudrait vivre à leur place.

Silence radio pendant une bonne minute. En même temps, qu'est-ce qu'elle peut bien en avoir à faire des idées bien carrés d'une fille comme moi?

Amy: Le pire dans l'histoire, c'est que le gars qui m'a donné des nouvelles n'a envoyé que ça dans son message. « Sami réveillé, les docteurs ne pensent pas qu'il pourra remarcher ». Comme si ça résumait le mois que j'ai passé loin d'eux.

Je reste abasourdie devant mon écran. C'est la première fois qu'Amy me parle d'un truc sérieux sans faire semblant de me draguer derrière. C'est la première fois qu'elle se confit vraiment, la première fois qu'elle dit un truc perso.

Jess: Pourquoi tu ne lui as pas posé plus de questions?

Amy: Parce que je lui en veux et je M'en veux. C'est compliqué. J'ai l'impression que mon ami d'enfance est devenu un étranger.

Je connais bien. Je ne m'en vente pas.

Amy: Mais trêve de conversation soporifique. Je t'ai raconté. Il arrive mon streep tease?





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Pour info, cette histoire est la suite de "un coup pour rien". Alors oui, je sais, c'est une histoire qui met en scéne un gars et une fille mais si jamais vous vouliez en savoir plus sur le passé de Benjamin et Hilena, elle est terminée et sur mon profil. :)  

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