Chapitre 2 - Intruse

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Anthémis, après avoir pris le soin d'enlever sa combinaison, de la ranger dans son sac et d'enfiler des vêtements plus ordinaires (dont le gilet qu'Edel lui avait offert pour son anniversaire), longea les rues de Dryadalis tout le restant de la journée. La capitale était si différente du reste d'Hodei ! Non seulement la jeune fille n'avait pas vu autant de personnes depuis plusieurs mois – puisque le pays n'était devenu qu'un immense terrain de chasse où les rares survivants étaient contraints de se cacher –, mais en plus, même l'ancienne population de Lunaria ne pouvait pas rivaliser avec toute cette foule qui passait dans les rues et fourmillait de partout, surtout sur la route principale qui menait certainement au centre-ville, et peut-être aussi au Palais.

L'adolescente se sentit étrangement en sécurité. Elle finirait tôt ou tard par être recherchée, mais il n'y avait plus aucun Miroir dans les parages, et tant d'humains vivaient encore en Hodei et se tenaient là, devant elle, en chair et en os ! Elle ne comptait pas commencer une vie paisible à Dryadalis, et n'abandonnerait pour rien au monde son objectif de se rendre au Palais et d'en découvrir plus sur les Miroirs, mais ce jour-là, afin d'apaiser sa peur, elle se contenta pendant plusieurs heures de déambuler dans les rues en s'émerveillant sur ces hautes maisons à colombage, sur tous les marchés et les magasins, les écoles et les grandes bibliothèques, les plus vieux monuments ainsi que les plus récents bâtiments. Des banderoles triangulaires et multicolores étaient accrochées pratiquement à chaque ruelle, et une ambiance festive se dégageait de la capitale et emplissait l'air, comme un souffle d'insouciance ; les Dryadalisiens ne savaient pas ce qui se cachait à l'extérieur de leur chère capitale, et ils fêtaient la fin de l'Été sans penser qu'il leur suffirait de passer par-dessus les barrières pour se faire refléter. D'ailleurs, ils ne savaient probablement même pas ce que signifiait le terme « refléter ». Si on leur parlait de Miroirs, ils ne penseraient certainement pas aux créatures noires dont il s'agissait en réalité. Ils penseraient à leur miroir de poche et riraient au nez de la personne leur en parlant en imaginant le reste d'Hodei dévasté et ravagé par ce pauvre petit ustensile. La capitale semblait tellement festive et chaleureuse que la plupart de ses habitaient n'oseraient jamais imaginer que leurs fiefs voisins n'étaient alors plus qu'un vaste désert ! Et ils ne pourraient évidemment pas concevoir que le danger se trouvait chez eux, dans la capitale même ; derrière ses allures de ville animée et pacifique, le gouvernement guettait, et tout ce que savait Anthémis, c'est qu'il ne lui voulait pas du bien, ni à elle ni aux Dryadalisiens. La Famille Dirigeante était hypocrite. Elle s'était réfugiée là-bas et traitait bien les habitants du fief, mais pas parce qu'elle les aimait particulièrement ; plutôt parce qu'elle avait tout intérêt à apprivoiser cette population pour éviter une nouvelle révolte.

La nuit commença à lentement tomber sur la capitale, et Anthémis continuait de déambuler sans trop savoir où aller. Elle se dirigeait le plus à l'Est possible, comptant atteindre le Palais, mais mieux valait qu'elle ne s'y rende pas tout de suite ; dans le noir de la nuit, elle ne verrait pas grand-chose, alors il ne servait à rien qu'elle continue de marcher. Elle devait trouver un endroit où se cacher et où dormir.

Ses quelques billes de bronze cliquetèrent dans sa poche, lui rappelant qu'Adélaïde lui avait donné un peu d'argent avant qu'elles ne s'en aillent vers la capitale. La jeune fille pouvait peut-être se payer une chambre dans une auberge, mais ce serait risqué. Avec son œil à moitié reflété, elle se ferait repérer tout de suite. D'ailleurs, l'obscurité recouvrait peu à peu la ville, et l'ocre de son œil finirait par se faire voir – jusqu'ici, marcher la tête baissée avait suffi à Anthémis pour esquiver le regard des Dryadalisiens, mais dans le noir, elle ne pouvait rien cacher. Elle rabattit sa capuche sur sa tête et se résigna à s'asseoir par terre, cachée dans une ruelle, et à y passer la nuit. Il était trop risqué de poursuivre le chemin alors que son œil était si lumineux, et de toute manière, elle était épuisée.

Reflétés T3 - DryadalisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant