Reflétés T3 - Dryadalis

Chapitre 16 - L'oubliée et le mutilé

Anthémis se réveilla le lendemain matin en ayant l'impression d'avoir fait un cauchemar affreusement long. Quand elle rouvrit les yeux et vit son père, déjà debout et assis à une table, lisant attentivement les schémas légendés et les textes que la jeune fille avait ramenés du Palais, elle se souvint que ce n'était pas un cauchemar. Tout était vrai.

Opale leur avait vraiment menti.

Opale était Arraroa Hodei, la princesse oubliée dont le nom ne figurait plus dans les nouveaux ouvrages, et dont le visage n'apparaissait désormais que dans les plus vieux tableaux.

Quand, bouleversée, Anthémis avait demandé à son père comment il pouvait lui expliquer l'appartenance d'Opale aux Sans-Reflets et le fait qu'elle avait vécu avec eux plus de neuf mois, il lui avait répondu qu'il ne savait pas vraiment.

– Il y a eu plusieurs rumeurs à son sujet l'année dernière, lui avait-il dit. Seules les membres de la Famille Dirigeante savent ce qui s'est vraiment passé. Certains disent que la princesse a été reniée, d'autres qu'elle s'est simplement enfuie. Dans tous les cas, elle a disparu quelques jours avant les premières attaques de Miroirs, et plus jamais la Famille Dirigeante n'a parlé d'elle en public depuis. La reine s'est même arrangée pour censurer tous les livres et manuscrits qui contenaient le nom de sa sœur. À celle-ci, il lui arrivait, d'après certains de mes collègues, de revenir de temps en temps au Palais, et récemment, sa présence s'est faite de plus en plus fréquente. On raconte qu'elle revient sous les ordres de sa famille, qui la manipule pour je ne sais quelle affaire, mais nous n'avons aucune preuve.

Anthémis, en écoutant son père parler, avait pensé qu'Opale n'était pas du genre à se laisser manipuler. Mais en vérité, elle n'en savait rien. Elle ne connaissait pas Opale.

Désormais, la jeune fille se souvenait de tous ces éléments, des petits comme des plus gros, qui auraient dû lui mettre la puce à l'oreille.

Son style vestimentaire excentrique, si proche de celui des Dryadalisiens ; ses riches bijoux qui auraient coûté bien trop cher pour une habitante ordinaire du fief Nord ; le fait qu'elle connaissait beaucoup de choses sur le monde au-delà de l'océan ; son passé inconnu ; ce qu'elle avait dit un jour, comme quoi elle avait assisté à la Grande Révolte et avait même vu Milio Hodei – c'est-à-dire son grand-père – se faire tuer ; ses fréquentes escapades soi-disant dans le fief Nord, mais qui cachaient certainement quelque chose ; et, bien évidemment, le fait qu'elle avait en sa possession de l'argent provenant de l'étranger.

À cela, on pouvait même rajouter sa fascination presque obsessionnelle pour les Miroirs, qui avaient été créés par sa propre famille.

En réfléchissant à tout cela, cette révélation aurait presque pu paraître évidente pour Anthémis ; mais elle réalisa bien vite qu'elle n'avait eu aucune raison de se douter de quoi que ce soit. Opale, ou plutôt Arraroa, avait bien caché son jeu, même si elle avait commis, peut-être, une petite imprudence en nommant son arme fétiche par son deuxième vrai prénom, Ekaitza. Mais cela, aucun des Sans-Reflets n'y avait prêté attention, et pour cause : ce n'était qu'un détail qui semblait anodin.

Anthémis hésita quelque temps à lui faire entièrement confiance. Après tout, si elle faisait partie de la Famille Dirigeante, elle ne valait probablement pas mieux que la reine. Mais en y réfléchissant bien, et en repensant aux termes qu'avait employés Anselme - "reniée", "enfuie", comme si jamais la princesse n'avait voulu avoir affaire avec sa famille -, elle réalisa qu'Arraroa n'était sûrement personne d'autre que celle qu'elle avait dévoilée aux Sans-Reflets ; personne d'autre qu'Opale. Si Arraroa semblait si peu apprécier la compagnie de sa famille, si elle était partie vivre avec les Sans-Reflets pour contrer les créations de ses propres ancêtres, si elle disait être du côté d'Anthémis et lui demandait même de l'aider, c'était sûrement parce que cette dite Arraroa ne voulait plus se faire appeler ainsi, ne souhaitait plus être associée à la famille royale, ne désirait qu'être Opale aux yeux des autres.