Kleon la regarda comme si elle arrivait d'une autre planète ; il la reconnaissait, mais il ne s'attendait pas à la voir aussi changée alors que deux heures à peine auparavant, elle avait encore ses cheveux bruns et cette frange trop longue – si longue qu'elle n'en était plus tellement une – qu'elle devait coincer derrière ses oreilles pour ne pas qu'elle obstrue sa vue.
– Ça ... change, commenta le marchand.
– C'était le but.
Anthémis s'assit à la table du salon et sortit de son sac les provisions qu'elle avait apportées – Kleon n'était clairement pas le plus agréable ni le plus chaleureux des hôtes, mais elle était tout de même chez lui et ne voulait pas le déranger en empiétant sur sa propre nourriture.
– C'est normal s'il y a des mèches de cinq centimètres et d'autres de vingt ?
La jeune fille, en sortant une boîte remplie de fruits séchés, cogna du poing contre la table. Elle avait passé plus d'une heure à s'occuper de ses pauvres cheveux, et la patience n'étant pas son fort, s'était vite énervée et avait voulu terminer le travail vite fait – et tant pis s'il n'était pas bien fait. Elle avait parfaitement conscience que sa coiffure était ratée, et elle n'avait aucune envie de se préparer un avenir en tant que coiffeuse, alors elle se passerait bien des commentaires de Kleon.
– Je sais, répondit-elle simplement.
– Et certaines mèches sont encore brunes, tu t'es mal débrouillée avec la coloration.
– Je sais.
– On voit encore tes ra ...
– JE SAIS.
D'après le ton qu'elle avait employé, le marchand comprit qu'elle n'était pas d'humeur à recevoir des critiques. Il haussa les épaules d'un air indifférent et s'assit à son tour devant son assiette garnie, une fois de plus, de pâtes. Anthémis, qui jusqu'ici contemplait le bois de la table en essayant de se calmer – car cette séance de coiffure catastrophique avait chauffé ses nerfs à vif –, leva doucement les yeux vers Kleon. Ses cheveux à lui étaient parfaits ; parfaitement gris, parfaitement coiffés, parfaitement droits et raides, sans un seul cheveu dépassant de la ligne droite que formaient ses mèches. Comment était-ce possible d'avoir de pareils cheveux ? Il devait avoir une perruque, c'était la seule explication. Quoiqu'Opale aussi portait une perruque pour masquer son crâne reflété, et pourtant, sa coiffure était loin d'être aussi parfaitement droite que celle de Kleon. À ce niveau-là, ses mèches s'apparentaient plus à du plastique qu'à autre chose ...
Anthémis tourna la tête vers son reflet qui apparaissait contre la surface lisse et argentée d'un des meubles de la cuisine. Elle ne vit qu'une pauvre fille aux cheveux inharmonieux, que ce soit ses mèches totalement irrégulières ou la coloration grise qui n'avait pas tenu à certains endroits. Elle arqua un sourcil face à cette fille qu'elle ne connaissait pas encore très bien. Bonjour, inconnue, s'amusa-t-elle à penser. Tu es la nouvelle Anthémis ? Ravie de faire ta connaissance, on va devoir apprendre à cohabiter, toi et moi.
Puis, son regard s'attarda sur la tache jaune qui cachait la forme réelle de son œil. Cette nouvelle apparence n'était pas une bonne cachette si ce qui la dénonçait le plus, son œil reflété, n'était pas dissimulé.
Affalée dans son siège et les bras croisés, elle soupira.
– Comment je peux faire, pour mes yeux ? demanda-t-elle à l'adresse de Kleon.
Elle avait décidé de se comporter normalement avec lui, et d'arrêter de s'imaginer des choses qui pourraient lui faire regretter d'avoir croisé la route du marchand ; il lui suffisait de se répéter en boucle dans sa tête « non Anthémis, Kleon ne cache pas de cadavre dans sa chambre, calme-toi », et elle parvenait à apaiser le léger tremblement de sa voix lorsqu'elle s'adressait à lui.
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Reflétés T3 - Dryadalis
FantasySuite aux événements d'Eleguerio, Anthémis décide - assez hâtivement - d'atteindre et d'infiltrer illégalement la capitale, Dryadalis. Elle n'a qu'un objectif en tête : sauver, si elle le peut, les êtres qui lui sont chers. Si, au début, son escapad...