Chapitre 24 - La lettre

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– Voilà la lettre, annonça Adélaïde en la tendant à Anselme.

Ils étaient tous les deux assis autour de la table de la cuisine, à l'écart du salon où se trouvaient Anthémis et Edel, ainsi que de la chambre où avait finalement été allongée Mélopée, surveillée par Jehan au cas-où elle se réveillerait.

La maigre lueur d'une bougie les éclairait. Le soleil n'allait pas tarder à se lever, et personne – exceptées Anthémis et Mélopée – n'avait pu fermer l'œil de la nuit. Anselme, s'étant d'abord écroulé de fatigue après avoir porté à la fois sa fille et l'ancienne reflétée jusqu'à Eleguerio, s'était vite remis debout – on voyait là l'endurance et la résistance si typique des Varlets. Désormais, il essayait de relier les informations et compléter le puzzle : Arraroa Hodei, la txipa, les Sans-Reflets ... Il ne comprenait pas la situation dans ses détails, mais il n'était pas le seul ; Adélaïde, bien qu'elle ait reçu quelques explications d'Anselme, manquait de faire une syncope à chaque fois qu'elle posait le regard sur son uniforme de Varlet. Il avait apparemment été séquestré quelque temps au Palais mais avait eu la vie sauve grâce à ses compétences physiques dignes d'un noble représentant du gouvernement. La reine avait préféré en faire un Varlet plutôt que le donner en pâture aux Miroirs. Malgré cette petite histoire, Adélaïde ne supportait que très mal la vision de l'uniforme qui n'était habituellement porté que par des énergumènes totalement antipathiques, représentant en effet et à merveille le gouvernement.

Anselme attrapa l'enveloppe et en sortit les quelques feuilles tachées d'encre qu'elle contenait. Ses doigts tremblaient anxieusement. Il fut surpris de découvrir une écriture soignée et composée uniquement de lettres majuscules, une écriture qui lui rappela automatiquement celle qu'il avait repérée dans la petite cellule du deuxième sous-sol du Palais.

– À défaut d'être bavarde, Opale s'est appliquée pour écrire cette lettre, commenta Adélaïde. Un peu trop appliquée, même.

Anselme passa un doigt sur la première page qui avait été nerveusement froissée. Vu la délicatesse de l'écriture, ce n'était certainement pas son auteure qui avait abîmé de la sorte les feuilles, mais plutôt un des lecteurs qui, excédé par ce qu'il lisait, avait, volontairement ou non, serré les doigts sur le papier.

Le Varlet – qui s'était plus ou moins retiré de ses fonctions en fuyant Dryadalis – commença la lecture, curieux d'en savoir plus à propos de cette soi-disant Opale dont il avait toujours entendu parler sous un autre nom. Dès les premiers mots encrés, il comprit néanmoins que cette lettre ne serait pas comme n'importe quelle autre.

« Il était une fois une petite fille née dans une sphère de cristal, sous un soleil de printemps. Traitée en tant que princesse depuis toujours, elle se vêtait de robes de soie et de bijoux d'opale, cachée entre les parois de son palais d'or et de diamant. Elle répondait alors au nom d'Arraroa. »

Anselme fronça les sourcils, surpris de constater que ce qu'Adélaïde appelait « une lettre » s'apparentait visiblement plus à un conte de fée qu'autre chose. Opale avait certainement joué de son statut de princesse pour présenter son histoire de façon fantaisiste, ce qui perturbait grandement le Varlet, lui qui avait toujours perçu les membres de la Famille Dirigeante comme des personnes sérieuses et terre-à-terre.

« Pas plus haute que trois pommes mais jolie comme un cœur, elle n'en restait pas moins jalouse de sa sœur, qui, au contraire de sa cadette, était promise à la couronne. De deux ans son aînée, elle recevait une éducation plus poussée et, caressée d'une affection privilégiée, était la favorite de leurs parents. Ainsi rongée par la jalousie, faute de pouvoir s'épanouir comme éclot une fleur printanière, la princesse se laissait lentement et inexorablement faner.

Reflétés T3 - DryadalisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant