Reflétés T3 - Dryadalis

Chapitre 3 - Kleon

Le souffle haletant, Anthémis laissa son dos glisser le long d'un mur et elle tomba mollement sur le sol encore mouillé, les jambes en feu. Elle avait couru pendant un temps interminable, mais enfin, elle avait réussi à semer les Varlets. Elle s'était cachée dans une ruelle, encore une fois ; la sirène continuait de hurler, plus fortement encore que lors de l'annonce de l'intrusion. L'adolescente, même exténuée et angoissée, retint une certaine satisfaction de cette course folle qu'elle avait gagnée contre les Varlets ; lorsque ces derniers donneraient des informations sur elle et expliqueraient à leur Vassal que l'intruse était une pauvre petite fille amaigrie par la faim et qui n'avait rien pour se défendre, ils auraient certainement honte d'avouer qu'eux, Varlets d'une quarantaine d'années, formés et entraînés, n'avaient pas réussi à l'attraper.

La pluie recommença lentement à tomber. Les gouttes venaient se déposer sur le corps fatigué d'Anthémis, et tachaient le sol de ronds sombres. La jeune fille rapprocha ses genoux de son buste et les entoura de ses bras. Elle se sentait épuisée.

Quelqu'un arriva au même moment. La jeune fille tourna la tête, apeurée, vers la personne qui marchait lentement le long de la ruelle ; cette dernière semblait s'être matérialisée à quelques mètres seulement de l'intruse, car elle ne l'avait pas entendue arriver. Anthémis songea à s'en aller tout de suite, mais la personne ne paraissait pas s'intéresser grandement à elle ; en fait, elle ne la regardait même pas, ses yeux étaient dirigés vers le ciel. Il s'agissait d'un jeune homme, qui s'arrêta soudainement en face de l'intruse, mais sans la regarder pour autant. Il leva la main à la hauteur de sa poitrine et laissa quelques gouttes de pluie lui tomber dans le creux de sa paume. L'adolescente le regarda faire sans trop savoir comment réagir ; elle observa l'homme contempler les nuages gris, et une certaine sérénité se dégageait de ce tableau. Ce Dryadalisien semblait très différent des autres ; alors que jusqu'ici, Anthémis avait seulement vu des travailleurs se dépêcher de traverser les rues et des groupes d'amis bruyants, ce garçon était beaucoup plus calme et serein. Il admirait le ciel comme s'il n'existait rien d'autre autour de lui.

Puis, il ouvrit le parapluie qu'il tenait jusqu'ici dans son autre main, et une toile bleue agrémentée d'un dessin d'un grand Temporel se dévoila à l'adolescente.

Et, cachés derrière le verre de ses lunettes, ses yeux verts croisèrent enfin le regard d'Anthémis. Il sembla alors que les deux jeunes gens se reconnaissaient, même s'ils ne s'étaient vus qu'une seule fois.

L'adolescente se souvint immédiatement du marchand qui travaillait avec celui qui leur avait vendu les combinaisons ; il avait les exacts même cheveux gris coupés en dégradé plongeant que l'homme qui se tenait devant elle à cet instant. Comment s'appelait-il, déjà ? Peu importait. Ce garçon travaillait dans ce qui relevait du marché noir, il n'était pas un Dryadalisien ordinaire qui irait la dénoncer auprès des Varlets ; normalement, elle n'avait rien à craindre de lui.

Le jeune marchand la considéra avec surprise. Avec tous les clients qu'il avait dû voir passer, il était assez étonnant qu'il puisse la reconnaître ; mais après tout, Anthémis avait certainement fait partie des plus récents de ses clients, et son style vestimentaire la distinguait nettement des autres Dryadalisiens.

Au même moment, les hauts-parleurs de la capitale s'activèrent à nouveau et la voix du Vassal retentit fortement. Le message était le même que la veille, à la différence que cette fois-ci, une description physique plus détaillée de l'intruse était précisée ; sa taille, située aux environs d'un mètre soixante, son âge (entre treize et quinze ans), son gilet bleu, son pantalon noir, sa peau noire, et les quelques mèches noires qui se dégageaient de sa capuche. Anthémis était piégée pour de bon ; comment pourrait-elle se cacher, désormais ? En plus de cela, ces incapables de Varlets n'avaient pas pu lui donner son âge réel ; sûrement avait-elle un visage et une voix trop enfantins pour correspondre à ses seize véritables années.