Toute sa peur s'était envolée à l'entente de cette voix railleuse et abîmée par des années de cigarette, pour laisser place à une certaine appréhension mais surtout à une colère noire. Elle dévisagea l'homme qui continuait de la regarder impassiblement. C'était lui qui l'avait dénoncée, et c'était certainement lui aussi qui avait livré Kleon – Gleb n'aurait pas été capable de commettre un acte pareil, lui qui considérait Kleon comme de sa famille. Il n'y avait pas que les Varlets, le Vassal, Bixente ou la Famille Dirigeante qu'elle détestait à Dryadalis ; il avait Berbéris aussi.
– Alors comme ça tu t'es éclipsée du Palais ? continua ce dernier.
Anthémis ne répondit rien, trop occupée à maudire intérieurement l'énergumène qui lui parlait et se présentait à elle si insolemment. S'il y avait bien une personne qu'elle aurait préféré ne pas revoir après tous ces événements, c'était Berbéris – quoiqu'elle ne tenait pas non plus à rencontrer Bixente.
L'homme tira sur la cigarette qu'il tenait jusque-là entre ses doigts, et ses yeux se plissèrent tandis qu'il contemplait les mains d'Anthémis.
– Je serais curieux de savoir comment tu t'y es prise pour parer la garde des Varlets, déclara-t-il sans lâcher du regard les bras de la jeune fille.
Cette dernière baissa, le temps d'une seconde, les yeux vers ses mains. Elles étaient tachées du sang de Kleon ; elle avait oublié de les laver.
– Je n'ai tué personne, si c'est ce que tu te demandes, annonça-t-elle en s'essuyant machinalement les mains sur son pantalon – ce qui était inutile puisque le sang avait séché depuis longtemps.
– Dommage, soupira Berbéris en expirant une fumée grise et nauséabonde. Ça m'aurait fait une raison de plus pour te dénoncer une deuxième fois.
Anthémis le fusilla du regard. Ce n'est pas ça qui l'a empêché de livrer Kleon, pensa-t-elle avec amertume.
– Où est-ce que tu vas d'un pas si décidé ? s'enquit Berbéris en haussant un sourcil.
La jeune fille ignora une fois de plus sa question, alertée par la silhouette de son père, un peu plus loin, qui s'était arrêtée et la regardait. Anselme n'osait sûrement pas s'approcher de peur de compromettre le plan qu'ils avaient prévu, c'est-à-dire faire comme s'ils ne faisaient pas la route ensemble. Anthémis essaya de lui envoyer un signe discret, lui indiquant qu'elle maîtrisait la situation, mais Berbéris vit rapidement que quelque chose clochait. Il se pencha pour apercevoir le Varlet derrière un buisson, qui était tourné vers eux, immobile.
– Oh, émit-il en opinant légèrement la tête. Je vois. Tu as reçu l'aide d'un charmant Varlet. Que t'a valu cet intérêt de la part d'un homme de la Famille Dirigeante ?
– Il n'est pas avec moi, tenta Anthémis.
– Ton regard fuyant et tes poings qui se resserrent m'indiquent le contraire, contesta Berbéris. Je vois quand les gens mentent, et toi gamine, tu mens décidément très mal.
La jeune fille se fit violence pour ne pas donner une gifle bien méritée à l'homme, même si elle en mourrait intérieurement d'envie. Il était de toute manière inutile qu'elle reste là ; que pouvait lui apporter Berbéris, si ce n'était beaucoup de colère accompagnée d'une irrépressible envie de le frapper ? Cependant, alors qu'elle s'apprêtait à partir sans rien ajouter – puisqu'il ne servait à rien d'argumenter avec Berbéris –, l'homme la retint en s'adressant à elle d'un air ironique :
– Tu disais que tu me dénoncerais et tu ne l'as jamais fait. J'aurais presque pu trouver ça gentil. Ça m'a laissé le champ libre. J'espère que ton ami se plaît au Palais autant que tu t'y es plue. D'ailleurs, raconte-moi un peu tes aventures là-bas ; il paraît que l'intérieur est d'un luxe sans pareil, c'est vrai ? Tu as vu la reine ? Tu t'es bien amusée avec les Varlets ?
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Reflétés T3 - Dryadalis
FantasySuite aux événements d'Eleguerio, Anthémis décide - assez hâtivement - d'atteindre et d'infiltrer illégalement la capitale, Dryadalis. Elle n'a qu'un objectif en tête : sauver, si elle le peut, les êtres qui lui sont chers. Si, au début, son escapad...