Reflétés T3 - Dryadalis

Chapitre 4 - Suspicion (p.1)

Anthémis se réveilla avec peine ; quand elle ouvrit les paupières, la lumière du jour l'éblouit aussitôt. Quelle heure était-il ? Combien de temps avait-elle dormi ?

Elle était allongée sur le canapé, dans les mêmes vêtements que la veille. Elle ne se souvenait même pas s'être posée là et avoir fermé les yeux. Elle se rappelait pourtant avoir voulu inspecter les lieux et voir s'il n'y avait rien de louche dans cette maison, et si elle pouvait vraiment faire confiance au marchand, mais visiblement, la fatigue avait primé et elle s'était assoupie.

Kleon se trouvait dans la cuisine, qui n'était séparée du salon que par un petit bar, sur lequel reposaient quelques bouteilles d'alcool et des sachets de nourriture instantanée qui n'avaient sûrement pas été rangés depuis les dernières courses. Il se préparait quelque chose à manger. C'était les bruits qu'il occasionnait qui avaient réveillé Anthémis.

– Il est quelle heure ? demanda la jeune fille d'une voix cassée, se relevant en se frottant les yeux.

Kleon releva le visage vers elle et jeta un rapide coup d'œil à sa montre.

– Onze heures, répondit-il. (Un léger sourire amusé apparut sur ses lèvres.) Tu t'es couchée à quelle heure hier soir pour te réveiller si tard ?

– Je ne sais pas ... je me suis endormie juste après être arrivée ici avec toi. Donc vers ... quinze heures.

La jeune fille écarquilla les yeux sous l'effet de la surprise, et sa réaction fit rire le marchand, qui pourtant n'avait pas le faciès de quelqu'un habitué à rire – il ressemblait un peu à Ephrem, les traits durs et une expression neutre en permanence scotchée à son visage.

– Tu as dormi vingt heures ? s'exclama-t-il comme si elle lui racontait une bonne blague.

– Je ... je n'ai jamais dormi autant ... bafouilla Anthémis.

Elle devait être sacrément épuisée pour s'être laissée aller à un sommeil aussi profond ! Elle ne pensait même pas que le corps humain pouvait rester endormi aussi longtemps ...

– Content de voir que le canapé est à ce point confortable, se moqua Kleon.

La jeune fille s'assit plus convenablement sur les coussins du siège et prit le soin de vérifier si ses bottines n'avaient pas taché de boue les coussins, mais heureusement, il n'en était rien. Le canapé étant dos à la cuisine, Anthémis se contenta d'imaginer le visage amusé du marchand tandis qu'il faisait bouillir de l'eau dans une casserole. Il se moquait d'elle, mais ce n'était pas méchant. Il n'était peut-être pas si désagréable que ça. Il voulait peut-être vraiment l'aider, et cette histoire de « but commun » n'était sûrement pas un piège. S'il avait voulu la dénoncer aux Varlets, il l'aurait fait depuis longtemps. Elle pouvait certainement se permettre de lui faire confiance. Se permettre de ne plus se méfier de tous les gens qu'elle trouvait bizarres.

– Au fait ... commença-t-elle, un peu hésitante. C'était quoi, cette histoire de but commun ?

Kleon ne répondait pas, alors elle tourna la tête vers lui. Il n'était plus dans la cuisine, il s'était éclipsé dans une autre salle silencieusement. Anthémis se leva et se dirigea vers la cuisinière sur laquelle reposait la casserole d'eau bouillante. Il se faisait des pâtes. C'était une des seules choses que savait se préparer la jeune fille, elle aussi. Elle jeta un coup d'œil à la nourriture instantanée qui traînait sur le bar, et se demanda si le marchand se cuisinait ce genre de choses à chaque repas. Quelle idée de vivre seul s'il ne savait même pas se faire à manger ...

Elle regarda les bouteilles d'alcool qui étaient toutes vides. Est-ce qu'il buvait ? Est-ce qu'il se saoulait comme le faisaient les vieux d'Ibai dans le bar qui avait été attaqué, ou comme son père après le suicide de sa mère ? Elle n'espérait pas pour lui. Elle n'était pas d'une nature des plus altruistes – elle voulait sauver Ambroisie et Mélopée mais c'était essentiellement parce qu'elle les aimait, pas par pur altruisme –, mais elle ne souhaitait à personne de vivre ce qu'avait vécu son père, car ça n'avait rien de beau à voir.