09. Zinzinuler

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Zinzinuler, verbe : Chanter, gazouiller. Concerne des petits oiseaux comme la fauvette ou la mésange.

Le printemps commence petit à petit à arriver. La nature change. Mais surtout, le temps s'est encore adouci. Les manteaux d'hiver ont été remplacés par des vestes plus légères. Ça me rend heureux parce que ça signifie que bientôt, les fenêtres pourront s'ouvrir. Elles peuvent sûrement déjà l'être mais j'ai été absent ces deux dernières semaines. Un problème familial m'a obligé à retourner chez mes parents pendant tout ce temps. Ils ont beau ne pas accepter mon choix de vie, ils restent mes parents. Ils auraient voulu une autre vie pour moi mais ne m'ont pas rejeté pour autant. Alors je me devais de venir les voir et les soutenir.

Le problème avec ça, c'est que du coup, je n'ai pas beaucoup vu Jonas depuis le début de l'année. Il a eu de nombreuses choses à faire _ sûrement à cause de l'épiphanie, la fête de cendres, le carême qui arrive _, moi aussi puis je me suis absenté. Et là je suis enfin de retour chez moi et surtout, dans mon atelier. Puisqu'aujourd'hui c'est samedi, j'ai décidé de ne reprendre les cours qu'à partir de lundi. Je peux donc rester toute la journée à mon poste d'observation qui m'a tant manqué.

Par réflexe, je regarde par la fenêtre mais il n'y est pas. Je m'en doutais. Ça aurait été trop beau qu'il m'attende à la fenêtre pour mon retour. Mais c'est pas grave. Je dois commencer à reprendre un rythme de travail correct. Mes journées étaient totalement chamboulées chez mes parents. Je ne pouvais travailler tranquillement qu'une fois tout le monde au lit. Au début, j'ai tenté de m'installer pour dessiner lorsque j'avais un moment de libre. Puis j'ai vu le regard un peu réprobateur de ma mère. Et quand j'ai su que mon oncle « préféré » devait venir, j'ai totalement abandonné l'idée de travailler en sa présence.

J'ai donc eu un rythme de vie un peu déplorable pendant ces deux semaines et je dois maintenant me réhabituer à travailler le matin et me coucher pas trop tard _ pour ne pas dire tôt _ le soir. J'ai quand même fait quelques croquis pendant mes vacances imprévues mais ils ne me plaisent pas totalement. Je travaille donc sur ça pendant toute la matinée surtout qu'il s'agit des premières planches de la BD, celles qui va présenter les personnages et les lieux. Un moyen pour moi de finaliser le design qui m'accompagnera pendant tout le reste de la création. Le projet avance et j'en suis vraiment heureux.

Après le déjeuner, je reregarde à nouveau par la fenêtre. En vrai, j'ai dû le faire une bonne vingtaine de fois pendant la matinée. Mais toujours rien.

En attendant qu'il vienne dans la pièce, je suis en proie à un dilemme particulier. Est-ce que j'ouvre la fenêtre, ce qui pourra être considéré par Jonas comme une invitation à enfin faire avancer notre ... relation ? Ou alors je la laisse fermée en l'attendant, pour voir s'il fait le premier pas ?

Contrairement à d'habitude, je prends ma décision assez rapidement. Je dois évoluer et arrêter d'avoir peur pour un oui ou pour un non. Alors j'ouvre la fenêtre en grand et j'inspire l'air frais qui passe enfin dans l'atelier. J'entends quelques feuilles qui s'envolent mais je m'en fiche. J'ai l'impression de revivre. J'en oublie même momentanément Jonas. J'entends zinzinuler dans le ciel et sur les branches des arbres. C'est comme si d'un coup le monde se remettait à vivre.

Mais moi mon monde, il est en suspens. C'est le cas depuis que j'ai rencontré Jonas. Depuis que j'ai craqué pour lui et que je suis perdu dans ce que je dois faire.

C'est finalement un bruit agaçant qui me sort de mes pensées. Je cherche pendant quelques secondes d'où il vient. Ça fait tellement longtemps que je n'en ai pas entendu de ce genre que je mets du temps à comprendre qu'il s'agit d'une tondeuse à gazon et que ça vient du jardin du presbytère.

Je m'approche un peu plus de la fenêtre et me penche légèrement pour mieux voir le jardin en question. Je ne peux m'empêcher de sourire lorsque j'aperçois, un peu excentré, un saule pleureur. L'endroit préféré de Jonas. Notre première vraie conversation. Et pas très loin, je vois enfin la tondeuse.

Je m'attends à voir un employé de l'église guider la machine ou tout du moins, quelqu'un chargé de l'entretien des locaux et notamment du jardin. Mais, surprise, c'est Jonas que je vois, habillé d'un survêtement et un gros pull en laine.

Et je beugue. Littéralement.

Déjà, je suis légèrement sous le choc de me dire qu'il n'y a actuellement entre lui et moi plus aucune vitre qui nous sépare. Juste de la distance. C'est comme si une barrière venait de s'abaisser et que le minuteur annonçant ce que je considère comme notre deuxième première rencontre était enclenché. Le moment que j'attends semble être d'un coup bien plus proche.

Je me ressaisis avant de subir un deuxième choc. J'ai l'impression que quelque chose ne va pas. Un détail qui m'échappe peut-être pour le moment mais qui va me sauter au visage d'une minute à l'autre, je le sais. J'essaye alors de tout reprendre pour voir ce que je n'ai pas encore totalement saisi pour le moment.

De l'air frais et pur. Enfin, autant qu'il est possible de l'être dans une ville.

Des oiseaux qui gazouillent et annoncent enfin le printemps qui arrive.

Un beau-gosse qui tond la pelouse.

L'odeur de l'herbe coupée qui me titille les narines et qui me donne l'impression d'être à côté de Jonas.

Jonas pour qui je craque et qui m'a terriblement manqué ces dernières semaines.

Je ne peux pas m'empêcher de le fixer du regard et de suivre son cheminement dans le jardin. Même d'aussi loin il a l'air tellement beau. Si seulement les miracles pouvaient exister, on pourrait être ensemble lui et moi. Ou tout du moins, j'aurais peut-être pu flirter avec lui jusqu'à le faire succomber à mon charme. Mais non. Monsieur a choisi de suivre la voix du Seigneur et de devenir prêtre.

Et c'est ça qu'il me manquait.

Jonas est prêtre ... et tond la pelouse.

Je ne m'y connais absolument pas en religion, en organisation de presbytère et d'église ou d'autres choses dans ce genre mais ...

Un prêtre ... ça tond la pelouse ?

Nom de Dieu ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant